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Bordeaux (33), dans la nuit du 29 au 30 juin 2023. Tirs de feux d’artifices lors d’échauffourées. © Guillaume Bonnaud/Maxppp

Mort de Nahel M.

Violences urbaines : une rage carnavalesque ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 04 juillet 2023 4 min

Comment la rage et la violence peuvent-elles cohabiter avec une forme de carnaval surréaliste diffusé en direct sur les réseaux sociaux ? Réponses avec Anne Dufourmantelle et le théoricien de la littérature Mikhaïl Bakhtine.


 

Gerbes lumineuses de mortiers d’artifices, émeutiers revêtant des uniformes dérobés pour se déguiser en policiers, scènes surréalistes diffusées sur les réseaux sociaux où l’on aperçoit un homme se faire couper les cheveux devant une carcasse de voiture en feu, ou un autre rappeler de prendre « le mascarpone pour le tiramisu »… Quelque chose dans la mise en scène, sur les réseaux, des mouvements de révolte, contraste avec la gravité de la situation qui secoue le pays depuis la mort du jeune Nahel. Un éclat « festif » côtoie de très près le sérieux, la violence et la peur. Diffusées en masse sur les réseaux sociaux, les actions spontanées deviennent parfois presque des performances dont le caractère spectaculaire entretient une course à la surenchère. C’était déjà en partie le cas, en 2005, ce qui avait poussé certains médias à cesser de diffuser les images des émeutes. Mais le phénomène est exacerbé aujourd’hui avec la multiplication des applications de partage de vidéos.

Le carnaval, transgression ritualisée

À certains égards, la révolte actuelle participe de ce que Mikhaïl Bakhtine (1895-1975) a théorisé sous le nom de carnavalesque. Le carnaval, note le spécialiste russe de littérature, est caractérisé entre autres par « la profanation, les sacrilèges, tout un système d’avilissement et de conspirations carnavalesques, les inconvenances relatives aux forces génésiques de la terre et du corps, les parodies de textes et de paroles sacrés, etc. » Il est par excellence le moment du « travestissement », où l’espace d’un instant toutes les hiérarchies de l’ordre social sont renversées, inversées. Bakhtine évoque « une sorte d’affranchissement provisoire de la vérité dominante et du régime existant, d’abolition provisoire de tous les rapports hiérarchiques, privilèges, règles et tabous […] C’est là une manifestation particulière de la catégorie de l’excentricité, une infraction à tout ce qui est habituel et commun, une vie hors de son courant normal. » Le monde, un instant, pourrait être autrement, et Bakhtine parle « d’utopie carnavalesque ». Tout est permis, tout est possible, en particulier les choses les plus indécentes.

Mais dans le carnaval traditionnel, cette explosion d’actes et de gestes extrêmes demeure symbolique : « Les guerres carnavalesques [sont] sans effusion de sang ». Elles relèvent d’un jeu. Pendant des siècles d’histoire, ces moments ont été socialement encadrés, institués, ritualisés par les autorités politiques et religieuses. La colère, sous-jacente à une structure sociale pesante, pouvait s’exprimer dans ces moments délimités d’exception et d’excès. L’institutionnalisation permettait d’en canaliser la puissance. Mais elle n’empêchait pas que quelque chose de subversif et d’inquiétant se manifeste dans un espace-temps reconnu.

Rage ou colère ?

La modernité a globalement tiré un trait sur ces moments. Mais la difficulté de se faire entendre dans l’espace médiatique a fait naître des discours souvent plus véhéments, plus radicaux, plus violents. Privé d’espaces, comme l’était celui du carnaval, où se traduirait la colère populaire, l’expression publique oppose désormais, de façon binaire, une parole pacifique et inoffensive et une parole trop sauvage pour être entendue.

On comprend alors mieux le recours actuel à des formes spectaculaires de révolte. Toute la différence tient à ce que cette explosion n’est pas ritualisée, qu’elle n’est encadrée par aucune institution. À la régularité annuelle des carnavals se substitue l’imprévisible spontanéité des émeutes. Au renversement symbolique se substituent la transgression concrète et la violence physique.

Nombre de commentateurs ont noté combien les émeutes manifestaient, à certains égards, une logique d’autodestruction : attaques contre des écoles, des trams, des infrastructures pour la jeunesse, etc. Comme le soulignait Anne Dufourmantelle (1964-2017), autrice de Puissance de la douceur, « quand on ne parvient pas à sortir de la colère, elle peut se transformer en une pulsion de destruction, destruction de l’objet ou destruction d’autrui ou d’atteinte à sa propre intégrité physique. […] C’est la transformation de la colère en rage », laquelle se produit lorsque la colère est réduite à « une pulsion ou à un instinct qui ne peut ainsi accéder à la dignité d’une réaction à l’injustice, ce qui est tout de même sa première raison d’être ».

Il faut cependant souligner que les émeutes actuelles témoignent également d’un engagement dans l’ordre symbolique. L’attaque d’une école, par exemple, est un geste de rage autodestructeur. Mais comme l’école est le point de contact le plus important – parfois même le seul – entre certains jeunes et l’État, et comme elle est censée être le lieu de l’émancipation, elle peut également être interprétée comme le fruit empoisonné d’une douloureuse expérience d’humiliation, d’enfermement, de transmission d’un savoir que l’on rejette et d’une autorité, une éducation, à laquelle on refuse de se plier. Il ne faut donc pas opposer si fortement le carnaval institué et la rage carnavalesque à laquelle on assiste aujourd’hui. Dans les deux cas, une colère se manifeste, et celle-ci ne parvient quelquefois à se faire entendre que sous une forme « monstrueuse » et anormale.

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