Anne Dufourmantelle : “Le silence de l’analyste est un silence habité”
Philosophe et psychanalyste, auteur d’une “Défense du secret” (Payot, 2015), Anne Dufourmantelle donnera une “leçon” consacrée au “silence dans la thérapie” dans le cadre du festival “Silence(s)” initié par le Théâtre de Chaillot, dont Philosophie magazine est partenaire. En amont du rendez-vous donné au Collège international de philosophie le 28 janvier 2017, elle explore les vertus et les dangers du silence en psychanalyse.
La psychanalyse est fondée sur un double silence : le silence pesant du patient et le silence thérapeutique de l’analyste. Comment s’articulent ces deux formes de silence ?
Anne Dufourmantelle : Le plus souvent, des patients viennent en souffrance d’une parole empêchée, impossible, qui n’a jamais été dite ou reconnue. Ils se trouvent dans un silence subi, un silence qui n’est pas heureux. Leur silence est assigné. Quand Freud a commencé la cure par la parole avec les hystériques, il n’avait pas encore opté pour l’option de silence, développée ensuite avec les lacaniens, mais son angle était le même, à savoir : comment faire pour qu’un entretien, une demande d’aide, ne tourne pas à la discussion, à l’entraide, à un exercice de soutien du moi, aujourd’hui très en vogue. La psychanalyse n’a pas a priori pour but d’aider à positiver, à faire le bilan. Son objectif est plutôt de révéler les loyautés dont vous n’avez pas idée : là où vous vous croyez libre, vous êtes assujettis. En revanche, il existe en vous une liberté dont vous ne savez rien, qui est refoulée. L’ambition du psychanalyste est de faire émerger cette autre parole par le silence, qui est bien souvent la seule possibilité de décaler la grande demande d’aide et de réponse, de fléchage, de conseil du patient. Ce dernier va d’abord se heurter à du silence. L’analyste n’a pas la réponse. Mais son silence est habité de rêveries, d’associations d’idée, de sensations, de perceptions, qu’il peut partager ou non avec le patient. S’il intervient trop, ce qui est donné entre en résistance avec l’élaboration de la propre parole du patient. J’ai été formée par des lacaniens et des winnicottiens. Je ne fais pas partie des analystes qui restent en silence toute une séance, ou très rarement. Mais le silence est bien le terreau ou l’humus dans le jardin de l’analyse.
« Le silence dans notre société est transgressif »
Si le silence évoque plus spontanément une donnée temporelle – comme le silence en musique – vous montrez, en parlant de jardin, de terreau, de chemin, qu’il a aussi une dimension spatiale.
Oui. Pour Winnicott, l’inconscient du patient et de l’analyste ne sont pas deux espaces juxtaposés côte à côte, ils créent ensemble un troisième espace commun où prennent place des rêveries, des images, des sensations qui n’appartiennent qu’à cette interaction. Le psychanalyste doit ainsi avoir le courage d’être en rapport avec son propre inconscient, avec sa propre enfance. C’est son vivier. L’enjeu est d’être à la fois singulier et subjectif dans la relation avec le patient, sans pour autant se raconter. Il n’est pas question de parler de soi, mais de dire « à partir de soi ». Dans cet espace inconscient commun s’assemblent aussi bien des éléments du conscient de chacun, les paroles échangées, que de l’inconscient. Et c’est pourquoi quand on change d’analyste, on change aussi d’inconscient. Le silence pourrait désigner tout cet espace d’inspiration, inexploré, qui demeure un work in progress, qui ne cesse de se faire et se défaire.
Philosophe et psychanalyste, Anne Dufourmantelle est notamment l'auteur d’“Éloge du risque” (Payot, 2011) et de “La Femme et le Sacrifice” (Denoël, 2007). Elle vient de signer “Puissance de la douceur” (Payot, 2013).
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