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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Frédéric Worms en 2019. © DRFP/Leemage

Entretien

Frédéric Worms : “L’image seule plus les réseaux sociaux, cela peut donner lieu à la guerre civile”

Frédéric Worms, propos recueillis par Michel Eltchaninoff publié le 21 octobre 2020 5 min

Autant que le terrorisme islamiste, c’est la caisse de résonance que fournissent Internet et les réseaux sociaux à tous les discours extrémistes qui inquiète le philosophe Frédéric Worms, qui vient de faire paraître Sidération et Résistance. Face à l’événement 2015-2020 (Desclée de Brouwer). Face aux radicalismes, il rappelle le rôle central de la loi, de la république et de l’école pour distinguer ce qui relève de la liberté d’expression de l’appel à la haine.

 

Qu’est-ce qui vous inquiète le plus dans l’assassinat de Samuel Paty ? 

Frédéric Worms : Premièrement, ce meurtre en lui-même, qui est en même temps une attaque terroriste, c’est-à-dire une menace générale à travers un crime singulier. Ce sont en effet des principes qui ont aussi été attaqués, celui de la liberté d’enseigner mais aussi celui de la discussion, de la contestation, dont l’école et la République sont le cadre et le garant. L’école permet précisément de débattre de sujets contemporains et controversés, comme le droit au blasphème. C’est donc une fonction vitale de l’enseignement qui est atteinte. Deuxièmement, ce qui a conduit à ce meurtre et qui n’est pas moins inquiétant. Il correspond à la montée en puissance des réseaux sociaux qui ont relayé un appel au meurtre et qui ont conduit au passage à l’acte. Le monde parallèle des réseaux vient contester à la fois le réel et les institutions. L’outil qu’est Internet a fait monter la rumeur et appelé à la violence. Cela est en cours partout dans le monde et de tous les côtés. L’islamisme fanatisé n’en a pas le privilège. Ces temps-ci, aux États-Unis, l’extrême droite est en train de mettre en place une énorme machine à rumeurs. Ce monde parallèle vient de faire effraction dans notre monde réel. Ce n’est ni la première ni la dernière fois, mais c’est là-dessus qu’il faut agir.

 

“Par l’intermédiaire du monde des réseaux, les complotismes globaux peuvent venir se brancher sur le moindre événement local et mener jusqu’au passage à l’acte”
Frédéric Worms

 

Et que peut-on faire pour les contrôler ? 

Il faut tout d’abord ne pas se limiter à un seul enjeu, ne pas se focaliser uniquement sur le radicalisme islamiste, alors que ce qui a conduit à ce meurtre, c’est aussi le monde parallèle d’Internet. Ce sont deux formes de contestation extrême du même monde commun et qui, en convergeant, peuvent le détruire. Le nazisme n’a pas inventé la propagande absolue pour rien. Il faut donc mettre cette dérive de l’outil au même niveau de gravité que celle du contenu qui a conduit à l’acte lui-même. Aujourd’hui, par l’intermédiaire du monde des réseaux, les complotismes globaux peuvent venir se brancher sur le moindre événement local et mener jusqu’au passage à l’acte. Il suffit à quiconque de brandir un chiffon rouge et c’est comme si la meute était là.

 

Peut-on à la fois appeler à la liberté d’expression à l’école et vouloir la limiter sur les réseaux ? 

C’est ce paradoxe que je souligne, en effet. Mais il est au cœur de la démocratie et de la République. On a bien raison d’en appeler à la liberté d’expression et de l’enseigner. Et on a bien raison en même temps de lui poser des limites. Elles sont définies par la loi dans un registre bien précis. Actuellement, les univers parallèles revendiquent le principe de la liberté d’expression de manière perverse, pour appeler à la haine et au passage à l’acte. Comme toute liberté, comme la laïcité elle-même, la liberté d’expression est violée dès qu’elle devient insultante ou haineuse. On a connu des églises qui torturaient au nom de l’amour, et, en son temps, le parti communiste a produit des dictatures au nom de l’émancipation. De même la liberté d’expression est un principe majeur mais elle connaît des limites. Le jour où un professeur raciste appellera à la discrimination, on aura raison de dire qu’il n’en a pas le droit. 

 

Qui fixe ces limites ? 

Surtout pas la religion, pas plus que n’importe qui en dehors de la loi. Par exemple, la catégorie de blasphème relève de la religion, elle ne doit pas empiéter sur la sphère publique. Mais cela ne veut pas dire que l’on peut tout dire et sur tout le monde. Les limites sont donc fixées par le droit républicain. Une catégorie centrale et légitime est l’appel à la haine. La loi autorise ce que certains religieux appellent un blasphème mais interdit l’appel à la haine. Insulter des gens en fonction de leur religion est interdit. Ainsi, si le blasphème comporte un appel à la haine, il faudra le condamner. On peut se moquer du prophète mais on n’a pas le droit d’insulter les musulmans. Certains jouent parfois avec la limite, alors on peut en appeler aux institutions et aux tribunaux. Mais c’est cette limite claire et forte qui doit servir de principe et de boussole. C’est cela que l’on peut et doit comprendre et enseigner. 

 

“Les enseignants ne travaillent pas à coups de Tweets”
Frédéric Worms

 

Que pensez-vous des appels à publier partout, y compris dans toutes les écoles, les caricatures de Mahomet ? 

Si cela passe uniquement par l’image et les réseaux sociaux , cela risque de présenter un raccourci dangereux. On a le devoir d’enseigner la liberté religieuse et le liberté d’expression auxquels appartiennent certains énoncés dits blasphématoires par des autorités religieuses. Mais surtout : il faut faire confiance aux enseignants – eux savent mettre les images en contexte – et ne pas les embarquer dans une confusion des genres entre publication des caricatures par les médias, sur les réseaux et leur travail, qui consiste à expliquer et à contextualiser. Les enseignants ne travaillent pas à coups de Tweets. En revanche l’image seule plus les réseaux sociaux, cela peut donner lieu à la guerre civile. 

 

Ne risque-t-on de transformer la caricature, qui est une transgression, en discours officiel, dans les écoles ou ailleurs ? 

La caricature interroge les limites de la liberté d’expression. Quand on caricature un visage humain, on force le trait. Certains stéréotypes politiques et sociaux peuvent être très violents. L’antisémitisme est toujours passé par la caricature, tout comme le racisme et le sexisme. L’antidote des images qui peuvent choquer est le langage, lorsqu’il analyse les points de vue opposés, crée du dialogue. Il est fondamental de limiter le pouvoir de l’image par le langage. Il existe des contestations légitimes des images, et c’est justement l’école qui organise ces controverses. Et c’est un professeur qui le faisait qui a été assassiné. Les terroristes s’en prennent aux principes qui en même temps protègent ce dont ils se réclament : le droit à la contestation. 

 

Allons-nous entrer dans une époque où le dialogue sur les questions touchant à l’islam va devenir de plus en plus difficile ? 

Il ne faut pas se braquer sur le fait de montrer les caricatures, mais maintenir et généraliser un espace pour tous les débats brûlants du moment, des caricatures à la possibilité pour une mère d’élève d’accompagner une sortie scolaire voilée. Il faut rétablir les limites de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas par le débat. Se concentrer sur le droit de montrer les caricatures est une réaction épidermique face à un crime qui remet en question le cadre et l’instrument d’une discussion démocratique. Il faut aller plus loin et évoquer tous les sujets sans les confondre. Nous entrons en effet dans une période de raidissement quant à l’islam. C’est pour cela qu’il faut plus que jamais maintenir le seul principe absolu, le cadre républicain. C’est la loi qui fixe les limites et qui se donne dans ce cadre les moyens de discuter de ces limites. Il n’y a, par exemple, rien de criminel à apprendre une langue comme l’arabe, puisque cela permet de comprendre de quoi il est question dans tous ces débats. Tous ceux qui viennent fragiliser ce cadre sont des apprentis sorciers.

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