“Vies parallèles”, de Michel Onfray

« Résilience et volonté. Cet esprit fut incarné par Charles de Gaulle, engagé pour la France dans les moments de douleurs comme dans ceux de gloires. Cet esprit est un héritage, celui de la France » : c’est par ces quelques mots publiés sur Twitter qu’Emmanuel Macron a rendu hommage au général de Gaulle lundi matin, avant de se rendre sur sa tombe, à Colombey-les-Deux-Églises, pour commémorer le cinquantenaire de sa mort. Comme l’immense majorité des hommes politiques français, l’actuel président de la République aime à se placer sous le patronage de son prédécesseur à la tête de la V^e République. 

Par sa posture se prétendant au-dessus de la mêlée, au-dessus des partis, Emmanuel Macron « s’en prétend aujourd’hui la réincarnation », affirme même Michel Onfray dans Vies parallèles (Robert Laffont, 2020) – une biographie croisée de Charles de Gaulle et de François Mitterrand qui vient de paraître. C’est pourtant beaucoup plus du côté du président socialiste, dont l’approche de la politique domine largement notre époque, que l’actuel se place aux yeux du philosophe. Tout l’enjeu du dernier ouvrage d’Onfray est de montrer l’opposition radicale entre ces deux visions de la France. Et de défendre un nécessaire retour à l’héritage gaullien.

Selon Michel Onfray, tout oppose de Gaulle et Mitterrand. Le ton est donné dès l’introduction : « L’opposition entre Charles de Gaulle et François Mitterrand met dos à dos un homme qui lutte contre l’effondrement d’une civilisation et un individu qui se moque que la civilisation disparaisse pourvu qu’il puisse vivre dans ses ruines à la façon d’un satrape. Le premier donne sa vie pour sauver la France ; le second donne la France pour sauver sa vie. L’un veut une France forte, grande et puissante, à même d’inspirer l’Europe des États; l’autre la veut faible, petite et impuissante, digérée par l’Europe du capitalisme. […] L’un sait avoir un destin ; l’autre se veut une carrière. De Gaulle n’ignore pas qu’il est plus petit que la France; Mitterrand se croit plus grand que tout. L’un construit parce qu’il sait que la France lui survivra ; l’autre détruit et sacrifie à l’adage “après moi, le déluge !” »

Difficile de penser antagonisme plus diamétral. Celui-ci s’article autour d’une notion-clé : la souveraineté, dont Onfray a fait son fer de lance avec le lancement de la revue Front populaire, censées « fédérer les souverainistes de droite, de gauche et, surtout, d’ailleurs ». Pour le philosophe, là où de Gaulle a tout fait pour entretenir la souveraineté française, Mitterrand est l’homme qui l’a abdiquée, qui l’a vendue à l’Europe par le traité de Maastricht (1992) que le général n’aurait jamais accepté. Pourtant, « il est malveillant de dire que de Gaulle est contre l’Europe : il est contre celle de Jean Monnet, libérale et pro-américaine, mais pour celle qui permet aux nations associées en elle de se retrouver plus fortes ». Une Europe des souverainetés.

L’autre notion qui symbolise l’incompatibilité des deux hommes est celle de civilisation. « De Gaulle a le sens de l’Histoire et des longues durées […] : la France vient de la nuit des temps, et il la veut éternelle, elle n’est pas sans passé ni futur, mais il la veut sans naissance et sans mort – elle serait là depuis toujours et pour toujours ; Mitterrand a le sens de son histoire et de la brièveté de son temps personnel. » Et d’ajouter que « le combat du général de Gaulle aura été en tout un combat de civilisation », un combat pour la perpétuation de la civilisation française et européenne, fondée sur la reconnaissance de ses racines : pour Onfray, la France ne commence pas avec la Révolution française, elle puise à la source judéo-chrétienne : « Refuser le rôle fondateur des religions en matière de constitution des civilisations est aussi stupide que de refuser la rotondité de la Terre ou le cycle des saisons », écrit-il.

De la lecture de cette biographie croisée – passionnante de détails, par ailleurs –, de Gaulle ressort magnifié, et Mitterrand, par contraste, fait figure de sombre sire. Soit. Il y a cependant quelque chose de surprenant dans ce portrait en miroir : Onfray s’est en effet toujours efforcé de produire une « contre-histoire » (de la philosophie), aussi stimulante que rafraichissante ; ce dernier livre, pourtant, n’est pas tant une manière différente de raconter l’histoire que la consécration d’une vision historique bien ancrée. Qui, aujourd’hui, se revendique de Mitterrand ? Qui, aujourd’hui, ne professe pas son admiration pour de Gaulle ? Sans doute, les gaullistes proclamés sont-ils au fond, pour beaucoup, des mitterrandiens qui s’ignorent. Reste que, même si l’originalité n’est pas un gage de qualité, le dernier ouvrage de Michel Onfray ne produit pas le choc contre-intuitif que la majorité de ses textes réussissent à susciter. 

Vies Parallèles. De Gaulle-Mitterrand (418 p., 21 €), de Michel Onfray est paru aux éditions Robert Laffont. Il est disponible ici.