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Elèves en uniforme au Collège et lycée catholique de Pontlevoy (41). © Jean-Michel Turpin/Divergence

Tribune

Uniforme à l’école : la contre-proposition de Pierre Cassou-Noguès

Pierre Cassou-Noguès publié le 08 décembre 2023 6 min

Réintroduire l’uniforme à l’école, au moins de manière expérimentale, voici l’un des aspects de la réforme de l’éducation dévoilée par le ministre de l’Éducation nationale. Cette proposition fait réagir le philosophe Pierre Cassou-Noguès : il dénonce ici une « coexistence triste », qui ne restaurera pas l’autorité ni n’effacera les différences sociales. Et il propose ironiquement de rendre l’uniforme obligatoire pour tous – sauf à l’école…


 

« Les vêtements sont importants. La façon dont nous nous habillons, la façon dont nous choisissons et portons nos vêtements ne définit pas qui nous sommes mais elle détermine notre insertion dans l’environnement humain et non humain. Nos vêtements sont des machines à coexister : à coexister avec les autres êtres humains, mais aussi avec le non-humain qui nous entoure. Il faut en prendre conscience. L’uniforme (outre qu’il ne résoudrait aucune des difficultés propres à l’éducation en France) partage avec son apparent opposé, la “fast fashion”, le vêtement jetable, l’idée d’une coexistence sans responsabilité.

Quand les philosophes méprisaient le vêtement

Il est habituel pour les philosophes de mépriser le vêtement et la mode. Platon voit dans le vêtement, et l’art de la toilette, un artifice qui vient masquer les défauts du corps. Le vêtement qui embellit le corps est à la gymnastique ce que la cuisine est à la médecine, la rhétorique à la philosophie : un artifice qu’il vaut mieux éviter parce qu’il détourne l’attention de ce qui est essentiel dans l’existence. Certes, nous avons besoin des vêtements pour nous protéger des intempéries et du regard des autres, mais il vaut mieux ne pas y prêter attention. Porter des uniformes serait, dans cette perspective, se laisser le loisir de soigner son corps d’abord et son âme ensuite. La tradition néoplatonicienne fera du corps le vêtement de l’âme, de sorte que le vêtement devient l’ombre d’une ombre : futile, dérisoire, éphémère.

“L’uniforme, qui sera rapidement détesté par les élèves, marquera seulement l’école comme un lieu de privation de liberté” Pierre Cassou-Noguès

Ce mépris du vêtement est certainement juste si l’on admet que l’existence humaine a pour but de prendre soin d’une âme, distincte du corps, et indépendante des choses qui l’entourent. En revanche, si l’existence humaine est liée à un corps, et celui-ci à un environnement, il faut bien accepter que les vêtements forment l’interface entre soi et son environnement.

Le vêtement, et la mode, reviennent dans la philosophie par l’intermédiaire de la sociologie puis de la sémiologie. Au début du XXe siècle, le sociologue allemand Georg Simmel en fait un moyen d’affirmer des distinctions sociales. Dans les années 70, Roland Barthes considère le vêtement comme un langage et lui applique les analyses de la sémiologique. Plus récemment, toute une série de théoriciens y voient l’une des modalités par lesquelles se construit notre identité. Nous choisirions nos vêtements, notre style, pour affirmer et peut-être aussi nous-mêmes pour comprendre qui nous sommes. L’importance de la mode viendrait alors de ce que nos identités sont plus fluctuantes, moins bien déterminées qu’elles ne l’ont été dans des formes sociales plus rigides.

Des machines à coexister

Cette idée d’une identité qui passe par le vêtement est juste mais partielle. Si je m’habille avec un imperméable, ou un sweat à capuche, ce n’est pas seulement parce que je tiens à affirmer un statut bourgeois ou à montrer que j’ai gardé toute la révolte de l’adolescence malgré mon âge, c’est aussi parce qu’il pleut. Et, que j’en aie conscience ou non, quelques grammes des matières qui composent mon imperméable ou mon sweat à capuche se retrouveront, au premier lavage, dans les eaux de la Seine, où elles se décomposeront ou ne se décomposeront pas mais resteront des dizaines d’années sous forme de micro-fibres de polyester.

“Les vêtements sont, au sens où Le Corbusier l’entendait, des machines, c’est-à-dire un produit social destiné à une certaine tâche, qui est en l’occurrence de coexistence, tous ensemble et avec notre environnement” Pierre Cassou-Noguès

Dans son ouvrage-manifeste Vers une architecture, Le Corbusier décrivait le logement comme une « machine à habiter ». Heidegger a pu, quelques années plus tard, ironiser sur cette formule. L’un et l’autre pourtant sont beaucoup plus proches qu’il n’y paraît d’abord. Le logement doit avoir pour fonction de nous relier dans notre environnement. Ce que Le Corbusier veut dire avec ses machines à habiter, c’est d’abord que le logement est le résultat d’une réponse collective, sociale, au problème d’habiter dans un certain environnement.

Il en est de même pour le vêtement. Quand bien même on dessinerait et coudrait ses vêtements soi-même, on resterait dépendant de la mode, des patrons en vogue, des matériaux et couleurs disponibles. Les vêtements sont, au sens où Le Corbusier l’entendait, des machines, c’est-à-dire un produit social destiné à une certaine tâche, qui est en l’occurrence de coexistence, tous ensemble et avec notre environnement. C’est parmi les machines disponibles que nous construisons la nôtre, ou les nôtres, qui nous insèrent dans le monde humain et non humain, déterminent notre identité dans le regard des autres individus, et nous accommodent aux éléments, le soleil, la pluie, la chaleur, le froid, le jour, la nuit, la boue ou le bitume, et réagissent plus ou moins profondément sur l’environnement extérieur, en y laissant des résidus de plastique, des teintures chimiques, un bilan carbone, etc.

L’uniforme à l’école : une fausse solution

Quelle sorte de machine à coexister est alors un uniforme ? D’abord, poser la question abstraitement, sans savoir où et comment l’uniforme serait produit, c’est, comme la fast fashion, passer sous silence la dimension environnementale de la coexistence. Il y a en France environ 12 millions d’élèves qui auront certainement besoin de plusieurs uniformes. La production des uniformes est donc un enjeu économique et environnemental tout à fait réel. Imposer l’uniforme, c’est dire, et apprendre aux élèves, qu’ils n’ont pas de responsabilité économique, environnementale, éthique, idéologique, dans le choix de leurs vêtements.

“L’uniforme ne jouera pas dans la construction d’une identité, et au contraire de masquer les différences sociales ne fera que les marquer – par les accessoires qui surgiront” Pierre Cassou-Noguès

Il est ensuite difficile de croire que l’uniforme permettrait de masquer les différences sociales, qui resurgiront immédiatement dans les accessoires, sacs, lunettes, stylos. En fait, ces accessoires qui ne seront pas assez signifiants pour jouer dans la construction d’une identité, d’une façon de coexister avec les autres et avec l’environnement, ne feront que marquer des différences sociales. C’est justement réduire au seul marqueur social les possibilités d’expression qu’il y a dans un vêtement et qui sont infiniment variées : une tenue, surtout chez des adolescents, signifie beaucoup plus que la richesse, ou la pauvreté, et les modes ne sont certainement pas déterminées par les plus riches.

Enfin, arguer que le port de l’uniforme marquant la singularité du lieu scolaire facilitera l’exercice de l’autorité me semble tout simplement incompréhensible. L’uniforme, qui sera rapidement détesté par les élèves, marquera seulement l’école comme un lieu de privation de liberté. Au fond, il s’agit de faire porter aux seuls élèves, avec leurs uniformes, le poids de nos difficultés, politiques, à constituer une école qui intègre tous les élèves et leur donne des savoirs et l’envie d’en acquérir d’autres.

Pour conclure, puisqu’il s’agit, selon le mot du ministre, de tester scientifiquement le port de l’uniforme, ma proposition serait de le rendre obligatoire pour tous à l’extérieur de l’école. Comme à l’armée, tout le monde, femmes et hommes et non binaires, jeunes et vieux et entre deux âges, porterait l’uniforme. Seuls les écoliers pourraient dans l’enceinte de l’établissement s’habiller comme ils le souhaitent. Il suffit d’imaginer tous les adultes porter le même uniforme, imaginer le spectacle des rues, des rames de métro, des autobus, peuplés des mêmes silhouettes, pour comprendre que quelle que soit la couleur des uniformes, il s’agit d’une coexistence triste, qui détruirait le plaisir du vêtement sans même nous apprendre la parcimonie. Le seul effet bénéfique de la mesure alternative que je propose (mais il est d’importance) serait, en excluant les établissements scolaires dans l’obligation de l’uniforme, de rappeler que la fonction première de l’école est d’enseigner la liberté. »

Le vêtement comme machine à coexister, par Pierre Cassou-Noguès
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