La morale républicaine, un retour au catéchisme ?
Enseigner la morale laïque à l’école ? L’idée lancée par le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon semblait frappée au coin du bon sens. Mais elle a déclenché une vive polémique, rappelant combien il est difficile de concilier éducation et liberté.
Au pays de l’impératif catégorique, le ciel était bleu. Aucun nuage à l’horizon. Quand, à la rentrée 2012, Vincent Peillon a annoncé vouloir introduire des cours de morale à l’école, nombreux sont ceux qui pensaient que la mise en œuvre de ce projet aurait des allures de promenade de santé. Le thème de « la perte des valeurs », de la « disparition du sens moral », n’était-il pas devenu la chose la mieux partagée du monde, chez les intellectuels comme dans le grand public ? Chose rarissime, un écrasant consensus se fit sur l’idée de Peillon : 91 % des Français, selon un sondage Ifop réalisé pour dimanche Ouest-France, s’y déclaraient favorables ! Un philosophe peu suspect de gauchisme comme Alain Finkielkraut y voyait un moyen de lutter contre « l’incivilité et la violence à l’école, les conditions minimales de l’enseignement n’étant plus réunies ». Et ce thème trouvait un large écho chez de nombreux psychiatres et psychanalystes, qui déplorent à longueur de best-sellers que les parents ne « mettent plus de limites » aux enfants, ne leur apprennent plus le respect de l’autre et la frustration, les laissant dans un état de « toute-puissance » nuisible à eux-mêmes et aux autres. Apprendre la morale aux enfants ? Et comment ! Plutôt deux fois qu’une ! Quel problème cela pouvait-il poser, dans une société qui semble toujours plus régie par l’avidité, l’intérêt égoïste et la lutte de tous contre tous ?
Pourtant, ce projet aux allures rassembleuses, d’aspect anodin, inoffensif, rencontra de vives oppositions de la part de philosophes de tous bords. Leur argument : la morale est impossible à enseigner à l’école au sens où il s’agirait forcément d’une morale partielle, partiale – fût-elle celle de la République –, qui ne respecterait pas les croyances de chaque élève et dérogerait au principe de neutralité de la laïcité. Dans la revue Les Idées en mouvement, André Comte-Sponville écrivait ainsi : « La République, parce qu’elle est laïque, n’a pas de métaphysique ni même de philosophie. Pourquoi l’école devrait-elle privilégier un courant philosophique plus que d’autres, par exemple l’humanisme abstrait plutôt que le relativisme d’inspiration nietzschéenne ? » À ces critiques, Vincent Peillon s’efforça bien vite de répondre. En avril 2013, suite au rapport qui lui fut remis par Alain Bergounioux, Laurence Loeffel et Rémy Schwartz, il rappela qu’il ne s’agissait pas, bien sûr, « d’enseigner la morale laïque », c’est-à-dire une certaine morale, mais de fournir un « enseignement laïc de la morale », autrement dit un enseignement neutre qui permettrait d’acquérir une « morale commune à tous, sans dogmatisme, qui autorise la liberté et la coexistence des croyances de chacun ». Pourtant, là encore, le ministre ne réussit qu’à moitié à éteindre les critiques. À imaginer même qu’il fût possible d’enseigner une morale a minima, universelle, cela ne se réduirait-il pas à rappeler quelques grands principes abstraits, généraux – ne pas tuer, ne pas mentir, ne pas voler, respecter l’autre ? Un tel projet ne reviendrait-il pas à reformuler le message du Christ, mais sous un habillage laïc et séculier ? En somme, l’enseignement de la morale ne signait-il pas un retour au catéchisme, un catéchisme light et bien-pensant ? Qu’en est-il exactement ?
Un contresens philosophique
Pour les opposants au projet, il est certain que le projet de morale laïque est un contresens. Assez plaisamment, les contempteurs de Vincent Peillon se retrouvent à l’un et l’autre bord de l’échiquier politique, chez les penseurs chrétiens comme chez les ultralibéraux ou les anarchistes. Pour la philosophe catholique Chantal Delsol, auteur des Pierres d’angle. À quoi tenons-nous ? (Cerf, 2014), l’enseignement de la morale serait carrément « immoral » ! « Un enseignement laïc de la morale laisse entendre qu’il est neutre, qu’il ne propose que la morale universelle, laquelle est acceptable par tous, explique-t-elle. C’est un leurre. Autant la question du bien et du mal, c’est-à-dire la question morale, est universelle, autant les réponses morales à cette question sont diverses selon les cultures. Prétendre apporter la morale universelle, c’est tromper les gens auxquels on apporte forcément un discours particulier, mais clandestinement. » La philosophe prend ainsi l’exemple de l’interruption volontaire de grossesse, mettant en avant que la morale laïque, en France, n’accepte pas la peine de mort, mais « qu’elle légitime la mise à mort de l’embryon », ce que ne peut accepter un chrétien convaincu. Ainsi, « la morale n’est pas du tout universelle, et ne saurait être enseignée dans ses principes premiers, trop abstraits pour être transmis seuls. Ils réclament à être réinterprétés en situation ». Si l’interdit du meurtre se retrouve dans toutes les cultures, il faut considérer les formes bien différentes qu’il prend selon chacune… Pour Chantal Delsol, loin d’être neutre, le cours de morale dans les écoles publiques sera « un catéchisme où l’on enseignera la bien-pensance du moment ».
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