Un chasseur sachant chasser

Qu’avez-vous prévu pour ce week-end ? De son côté, Ariane Nicolas va tenter d’aller se promener en forêt. Elle dit “tenter”, car sa petite ferme au fond des bois est sise en pleine réserve de chasse et elle entend tirer à longueur de journée. Y gambader lui paraît relever de l’exploit nietzschéen ou du conte des frères Grimm. Et pourtant, elle défend la pratique de la chasse…

« Paradoxal ? Sans doute. Laissez-moi vous expliquer.

Depuis l’ouverture de la chasse en septembre, on recense une vingtaine d’accidents, dont deux mortels. C’est trop. Mais globalement, depuis vingt ans, la tendance est à la baisse : 39 morts accidentelles en 2000, contre 7 en 2021. L’Office français de la biodiversité relève : “Les efforts de l’État et des fédérations de chasseurs ont permis une constante diminution de l’accidentologie grâce à l’évolution du permis de chasser, des formations, des actions de sensibilisation et de la réglementation. Ils doivent être poursuivis”, notamment concernant le respect des règles de sécurité.

Si les chasseurs ont toujours été la cible de critiques, c’était avant tout sur la cruauté des pratiques et la question des espèces menacées. Sur ce point, je ne peux qu’être d’accord. Mais étrangement, les chasseurs sont attaqués aujourd’hui sur l’accidentalité de la chasse… et ce, alors même que les accidents n’ont jamais été aussi rares. Plus les chasseurs sont prudents, et plus on les accuse de ne pas l’être ! Ce phénomène d’inadéquation entre une réalité et sa représentation m’évoque “le paradoxe de Tocqueville”, décrit par le philosophe dans De la démocratie en Amérique (1835-40) : “Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. Le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande.”

Ce paradoxe s’applique en général lorsqu’une population dominée (femmes, travailleurs précaires, immigrés, etc) cherche à se “hisser” à la hauteur d’un standard d’égalité encore inaccessible. Mais dans le cas de la chasse, pratiquée massivement par des agriculteurs et des ouvriers, c’est-à-dire des gens socio-économiquement défavorisés, la logique est inverse. Il y a une réprobation d’une classe dominante à la fois culturellement et matériellement, à laquelle je reconnais appartenir, qui stigmatise un loisir pratiqué par les classes populaires, alors même que ses membres se comportent de mieux en mieux.

C’est la raison pour laquelle je ressens une émotion contradictoire dès qu’un accident suscite l’indignation : je partage la colère devant l’accident, et éprouve de la gêne face à un certain acharnement dont les chasseurs font preuve. Je ne peux pas m’empêcher de voir, dans cette effusion anti-chasse, une forme de mépris social envers une population jugée brutale, arriérée et inculte. Si je défends la chasse, au fond, c’est moins pour préserver une pratique ancestrale que par respect pour certaines catégories de personnes qui l’aiment. À la nuance près que ce respect suppose aussi de savoir les chasseurs capables de se comporter raisonnablement. À eux d’en faire la preuve. »

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