Décryptage

Trans contre féministes radicales : la nouvelle fracture

Octave Larmagnac-Matheron publié le 12 min

« L’affaire Rowling », qui a débuté lorsque l’autrice de “Harry Potter” s’est irritée de ne pouvoir appeler « femme » une personne qui a ses règles, au nom de l’existence des personnes transgenres, met en lumière un clivage profond au sein des milieux féministes. Certaines féministes traditionnelles, rebaptisées « Terfs » pour “Trans-Exclusionary Radical Feminists” (féminisme excluant les femmes trans), veulent absolument conserver l’indexation de la catégorie femme sur le sexe biologique, afin de « combattre efficacement le patriarcat ». Et, en face, les transféministes insistent au contraire sur la nécessité de déplacer les lignes de partage traditionnelles entre masculin et féminin. Parcourons les arguments des un(e)s et des autres, et voyons s’ils pourront un jour se réconcilier.

Dernier rebondissement dans « l’affaire Rowling » : le 29 juin, l’autrice de Harry Potter a décidé d’arrêter de suivre le compte Twitter de Stephen King, le géant de la littérature fantastique. Son tort ? Avoir répondu à un internaute, qui lui posait la question, que « Oui, les femmes trans sont des femmes ».  Un pied de nez à peine masqué à la polémique dans laquelle Rowling est empêtrée depuis qu’elle s’est moquée du titre d’un article de devex.com, « Créer un monde post-Covid plus égalitaire pour les personnes ayant leurs règles ». « Cela avait un nom autrefois. Aidez-moi. Fummes ? Fommes ? Fammes ? », avait réagi l’autrice le 6 juin dernier. Une attaque immédiatement jugée transphobe et descendue en flammes sur les réseaux sociaux. Quid, en effet, des hommes trans qui, bien qu’ayant leurs règles, se considèrent de genre masculin ? Quid, aussi, des personnes « non-binaires » ayant leurs règles mais qui ne se reconnaissent dans aucun des deux genres traditionnels ? Quid, enfin, des personnes assignées « hommes » à la naissance qui se considèrent comme des femmes sans avoir, évidemment, leurs règles ? 
 

Pour tenter d’éteindre la polémique, J. K. Rowling a posté un long message sur son site internet. Tout en affirmant sa compréhension des difficultés que rencontrent les personnes transgenres, elle « refuse de [s]’incliner devant un mouvement qui cause un tort démontrable en cherchant à éroder le mot “femme” en tant que classe politique et biologique, et en offrant une couverture à des prédateurs ». L’argumentaire égrène ainsi plusieurs arguments récurrents d’un mouvement particulièrement important dans le monde anglo-saxon : le Trans-Exclusionary Radical Feminism (féminisme excluant les femmes trans). Ou, dans le jargon : les Terfs. Alors que la référence au sexe biologique semblait dépassée, débordée par celle du genre, la voilà qui revient par la fenêtre de l’édifice féministe, comme une réaction à l’essor du militantisme trans. Un signe, peut-être, que le consensus autour de la notion de genre, prédominante dans les dernières décennies, cachait, en fait, une diversité d’approches contradictoires. Examinons les arguments des uns et des autres.

 

Critiques Terfs

Les trans font fi du sexe biologique. Les Terfs sont, en général, les héritières de la seconde vague du féminisme, celle des années 1970-1980. Plus précisément, elles se définissent en majorité comme « radicales » et « matérialistes ». Matérialistes dans le sens où, à leurs yeux, la catégorie « femme » est fondée sur une différence biologique irréductible. Ainsi, début 2020, les signataires de la tribune « Suffit-il de se proclamer femme pour pouvoir exiger être considéré comme telle ? » affirmaient que « les femmes sont tout d’abord des êtres humains femelles. Elles ont un double chromosome X et, sauf malformation ou anomalie, elles ont un appareil génital qui permet la gestation et l’accouchement d’un enfant. » Premier grief, évident, à l’encontre des militants trans, qui découplent sexe biologique et identité de genre. Les Terfs y voient d’ailleurs, en général, un paradoxe : si la biologie est sans importance pour définir l’identité de genre, pourquoi les personnes trans s’efforceraient-elles d’imiter l’anatomie du sexe dans lequel elles se reconnaissent ?
 

« Pour les Terfs, les transféministes nient l'importance du sexe – et par là même empêchent de comprendre comment fonctionne le sexisme »

Nier le sexe, c’est nier le sexisme. En réalité, pour les féministes matérialistes, si la différence biologique compte dans les luttes féministes, c’est parce que le « système d’oppression qui organise l’humanité en deux groupes, l’un dominant et exploitant l’autre » s’est édifié sur la base de cette différence concrète, visible, évidente. Le sexisme est la conversion d’une différence naturelle, celle des sexes, en une hiérarchie des genres dans laquelle le masculin l’emporte, systématiquement, sur le féminin. Nier l’importance du sexe, comme le font les transféministes aux yeux des Terfs, empêche de comprendre comment fonctionne le sexisme. Comment lutter contre un adversaire que l’on ne comprend pas ?
 

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