“Traité de la nature humaine” : expérimentalement vôtre
David Hume soumet les pouvoirs de la raison à une critique radicale. Il ne s’agit plus de fonder la connaissance sur les idées mais de l’ancrer dans l’expérience. En redonnant la primauté au vécu, il écorne la métaphysique et montre que nos certitudes ne sont que des croyances.
David Hume, les dates clés
1711 Il naît à Édimbourg (Écosse).
1735 En pleine crise existentielle, il s’installe en France où il entame la rédaction du Traité de la nature humaine.
1739 De retour à Londres, il publie les deux premiers tomes du Traité, qui passent totalement inaperçus.
1752 Il entame une vaste Histoire de l’Angleterre, qui lui attire de vives critiques.
1776 Il meurt dans sa ville natale d’une tumeur intestinale.
« Jamais il n’y eut d’entreprise littéraire plus malheureuse que mon Traité de la nature humaine », se plaint David Hume dans les quelques pages intitulées Ma vie qu’il rédige en avril 1776, avant de s’éteindre en août. « Il mourut en naissant, et il n’obtint pas même la distinction d’exciter quelques murmures parmi les fanatiques », se souvient-il amèrement. À 28 ans, le jeune philosophe écossais espère déclencher, avec les trois tomes de son ambitieux Traité parus en 1739, ce que l’on appelle aujourd’hui un buzz, pour le dire dans la langue de Shakespeare. Il n’en est rien. Manquent alors sans doute les relais médiatiques adéquats, prêts à faire mousser toute plume nouvelle qui ne doute pas de son talent. Heureusement, Hume est « naturellement porté à la gaîté et à l’espérance » et se relève de ce premier coup pour se remettre à l’ouvrage.
Si la renommée est parfois cruelle avec ceux qui la poursuivent de leurs ardeurs, Hume a pourtant de quoi être satisfait de L’Entendement, Des passions et de La Morale. Le Traité de la nature humaine, qui regroupe l’ensemble, veut combler un manque et réparer « l’état d’imperfection où se trouvent présentement les sciences » : si la méthode expérimentale d’Isaac Newton (1643-1727) triomphe en effet dans les sciences naturelles, la « nature humaine » reste, elle, nimbée des préciosités de la métaphysique. La raison serait susceptible de nous donner entière compréhension des effets et des causes, elle nous permettrait de garder l’ascendant sur nos passions, ces mouvements désordonnés de l’âme, et elle ferait de nous des individus à l’identité stable avec un Soi invariable. Or rien de tout cela n’est vrai, affirme Hume.
D’où tient-il tant d’autorité ? De l’expérience, dont il fait le principe premier de sa philosophie, exposé dès l’introduction du Traité : « Quand j’ai à connaître les effets d’un corps sur un autre dans telle ou telle situation, il me suffit de les placer dans cette situation et d’en observer les résultats. […] Nous devons donc dans cette science glaner nos expériences par le moyen d’une observation scrupuleuse de la vie humaine et les recueillir telles qu’elles apparaissent, selon le cours ordinaire du monde, dans la conduite des hommes dans la société, dans leurs affaires et dans leurs plaisirs. » Alors que des siècles de philosophie reléguaient l’expérience au rang de connaissance de seconde zone, car dépendante de nos sens nécessairement trompeurs, Hume opère un renversement dont l’ampleur est inversement proportionnelle à l’attention qui lui sera accordée.
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