Socrate. La sagesse assassin(é)e

Athènes, 399 av. J.-C. Socrate est entouré de ses disciples. Alors que la nuit tombe, un visiteur vient l’informer que le moment est venu. Criton et Appolodore peinent à cacher leurs larmes : bientôt, ils seront comme orphelins. Socrate est en prison, il va mourir. Impassible, il porte la coupe empoisonnée à sa bouche et, d’un seul trait, boit la ciguë. Peu à peu son corps se refroidit : d’abord les jambes, puis le ventre, le cœur enfin. Après un dernier soubresaut, Socrate a le regard fixe : il est passé. Ainsi, Athènes a exécuté son philosophe. Pourquoi ? Comment en est-on arrivé là ? Socrate, parangon de piété, de vertu et de sagesse, n’était-il pas un citoyen modèle ? N’a-t-il pas servi sa cité, aimé ses lois ? La mort de Socrate semble une énigme. Tout comme sa vie, d’ailleurs… De Socrate, qui n’a rien écrit, nous ne connaissons qu’un personnage, livré à travers des témoignages contradictoires, partiels et partiaux. Dangereux charlatan pour ses adversaires, martyr fascinant pour ses disciples, il n’en fallait pas davantage pour que Socrate devienne un mythe et le père fondateur de la philosophie. La philosophie connaît avec Socrate son année zéro : avant lui, les « présocratiques », après lui… 

Guerrier, fêtard, séducteur

Du Socrate historique on ne sait que peu de chose, à commencer par ces deux dates – celle de sa naissance (vers 470 av. J.-C.) et celle de sa mort (399 av. J.-C.). Né à Athènes d’un père sculpteur et d’une mère sage-femme, dit-on, Socrate connaît l’âge d’or du siècle de Périclès. À l’apogée de sa puissance, la cité démocrate est alors le centre de la Grèce, et la Grèce, le centre du monde. Socrate jeune homme y côtoie de nombreux philosophes, versés dans l’étude de la nature et de l’être ; il s’initie à la physique avec Anaxagore et interroge l’homme et les ressources du langage avec les sophistes. Mais une série de crises violentes précipite la chute d’Athènes. La guerre du Péloponnèse qui l’oppose à Sparte éclate en 431 au moment où la peste ravage la cité. Rythmé par les guerres civiles, ce conflit se solde en 404 par la ruine d’Athènes et de son modèle politique. Un nouveau gouvernement, oligarchique et impopulaire, lui est imposé par l’ennemi : la tyrannie des Trente. À ce bouleversement politique répond une profonde crise morale. « Nul n’était retenu ni par la crainte des dieux, ni par les lois humaines », déplore Thucydide : l’individualisme et le relativisme règnent dans cette cité désabusée. Dans ce sombre tableau, Socrate s’illustre comme citoyen engagé. Soldat d’exception, capable d’endurer le froid – il marche pieds nus sur la glace – et la faim, c’est un héros de la guerre du Péloponnèse. Lors de la bataille de Potidée, son regard d’airain fait fuir l’ennemi mieux que l’épée, raconte Alcibiade dans Le Banquet de Platon.