Hors-série « Machiavel »

Jeux vidéo : Machiavel, un assassin aux manettes

Octave Larmagnac-Matheron publié le 03 septembre 2022 3 min

Le deuxième volet du jeu Assassin’s Creed (plus de 150 millions d’exemplaires vendus, tous épisodes confondus), se déroule entre la Florence des Médicis et la Rome des Borgia. On y croise, outre le génial Leonardo da Vinci, un célèbre philosophe et politicien florentin appartenant, dans l’ombre, à la Confrérie des Assassins, un certain Niccolò Machiavelli. Tueur aussi habile que rusé, exerçant ses talents au nom de la justice et du pragmatisme.

 

S’engouffrant dans les années de jeunesse méconnues du Florentin (jusqu’à son accession aux responsabilités en 1498), les scénaristes du deuxième volet (vendu à 8 millions d’exemplaires) de la saga de jeux vidéo Assassin’s Creed (Ubisoft) lui inventent une autre biographie : ici, le jeune Machiavel intègre la Confrérie des Assassins, engagée dans une lutte millénaire secrète contre l’Ordre des Templiers.

Pour les premiers, l’amélioration de l’Humanité passera par la libération des peuples, à laquelle ils œuvrent dans l’ombre ; pour les seconds, pessimistes, ce progrès doit être téléguidé, en sous-main, par une élite d’individus supérieurs. Le décor est planté : Machiavel est dans le camp des démocrates. Un adversaire des tyrannies, du « petit nombre » corrompu, et des prophètes qui prétendent rendre l’homme meilleur contre son gré. C’est en partie vrai. Mais l’assassin – bien davantage que le vrai personnage – est moins optimiste que ses frères d’armes quant à la nature humaine. Le peuple, trop changeant, n’est pas un allié fiable à ses yeux, y compris pour sa propre émancipation. S’appuyer sur lui, c’est se fonder « sur du sable ». Dans certaines circonstances, le recours à un gouvernement autocratique, à un « Prince », lui parait préférable – option très critiquée au sein de sa confrérie, et à laquelle le vrai philosophe (qui accorde au peuple une véritable force de résistance) n’aurait pas pleinement adhéré. « Depuis quand es-tu aussi cynique ? », demande un jour le personnage d’Ezio Auditore au Florentin digital, assassin atypique et ambivalent. Sans doute, partage-t-il avec ses acolytes, et avec son pendant historique, le goût du secret et de la dissimulation. Un sens de la violence nécessaire aussi, et tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. Il n’hésitera donc pas à se salir réellement, et non métaphoriquement, les mains pour atteindre ses objectifs. Mais il préférera souvent la ruse du « renard » à la violence brute du « lion » – non qu’elle soit plus morale, mais elle est surtout plus efficace.

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