Slavoj Žižek : “Dans l’ordre supérieur des choses, nous sommes une espèce qui ne compte pas”
Face à une catastrophe, nous éprouvons déni, colère, dépression, puis acceptation. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire pour une épidémie à l’échelle mondiale comme celle que nous connaissons à l’heure actuelle, demande Slavoj Žižek dans un texte exclusif ?
Dans Les Derniers Instants de la vie, la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross propose un schéma, devenu célèbre, des cinq étapes par lesquelles nous passons lorsque nous apprenons que nous sommes atteints par une maladie en phase terminale : le déni (« ce n’est pas possible, ça ne peut pas m’arriver ! »), la colère (« mais pourquoi fallait-il que ça m’arrive à moi ? »), le marchandage (« si seulement je pouvais vivre encore un peu, le temps que mes enfants obtiennent leur diplôme »), la dépression (« je vais mourir, alors à quoi bon ? ») et l’acceptation (« puisque je n’y peux rien, autant me résigner »). Kübler-Ross applique ultérieurement ce schéma à toutes les formes de deuil consécutif à une catastrophe (chômage, décès d’un proche, divorce, toxicomanie), tout en insistant sur le fait que les cinq étapes ne se succèdent pas forcément dans le même ordre et qu’elles ne sont pas expérimentées dans leur intégralité par tous les patients.
« Aussi grandioses soient les monuments spirituels érigés par l’humanité, une contingence naturelle aussi bête qu’un virus peut tout anéantir »
Slavoj Žižek
N’est-ce pas aussi de cette manière que nous réagissons face à l’épidémie de coronavirus déclenchée fin 2019 ? D’abord, il y a eu un déni (« ce n’est pas si grave… »), puis la colère (avec des tonalités racistes ou anti-étatiques : « encore la faute de ces sales Chinois », « notre gouvernement est inefficace »), après est venu le marchandage (« il y a des victimes, certes, mais on devrait pouvoir limiter les dégâts »), et, si cela ne marche pas, c’est la dépression qui surgit (« il ne faut pas se leurrer, nous sommes tous condamnés »). Dans ce contexte, à quoi ressemblerait l’étape de l’acceptation ? Peut-être n’est-ce pas une si mauvaise chose : nous devrions accepter le fait que l’épidémie est vouée à prendre une ampleur mondiale et qu’elle ne pourra être contenue par des quarantaines ni aucune autre mesure draconienne induite par la panique. Il s’agit donc de l’accepter, en ayant conscience que le taux de mortalité est relativement bas et qu’avec un peu de sagesse, nous aurons peut-être une chance de nous en sortir… Plus fondamentalement, ce qu’il nous faut accepter, ce avec quoi nous devons nous réconcilier, c’est que la vie est depuis toujours sous-tendue par la prolifération stupide, répétitive et présexuelle des virus qui, tels des morts-vivants, font planer sur nous leur ombre, menacent notre survie et explosent au moment où nous nous y attendons le moins. Au fond, les épidémies virales nous rappellent la contingence et l’insignifiance ultime de notre existence : aussi grandioses soient les monuments spirituels érigés par l’humanité, une contingence naturelle aussi bête qu’un virus ou un astéroïde peut tout anéantir… Sans parler de la leçon d’écologie que nous pouvons en tirer : l’humanité risque, à son insu, de précipiter sa propre fin.
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