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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Andrew Itaga/Unsplash

Des classiques éclairent le présent

Qu’est-ce que nos goûts musicaux disent de nous ?

Louise Coquillat publié le 08 décembre 2023 5 min

Et vous, qu’avez-vous le plus écouté cette année ? Les plateformes actuelles d’écoute en streaming permettent de le savoir avec précision, et de parfois se demander : « C’est vraiment moi qui ai écouté tout ça ? » Alors que révèlent nos goûts musicaux de ce que nous sommes vraiment ? Réponses avec Montaigne, Proust et Bourdieu.


 

Il y a quelques jours, les plateformes d’écoute Spotify, Deezer et iTunes ont publié, comme chaque année, leur « rétrospective ». Chaque utilisateur a pu découvrir le top 5 des musiciens qu’il a le plus écoutés pendant l’année, et s’est vu en conséquence qualifié de « héros » aux attraits « romantiques », « punk » ou encore « pop », selon les déductions de l’algorithme. Si beaucoup reconnaissent que ce classement est révélateur de leur goûts musicaux, d’autres ont été pris d’un sentiment d’étrangeté et ont dû se dire : «  Est-ce vraiment ce que je préfère ? Et si c’est le cas, qu’est-ce que cela dit de moi ? » Des informations bien différentes, suivant la philosophie que l’on suit. Voici quelques pistes.

Montaigne : se découvrir à travers ses goûts

Dans ses Essais, Michel de Montaigne entame un dialogue avec lui-même : après avoir goûté aux plaisirs de la vie mondaine, de la conversation et de la lecture, il opère un retour à soi, à la solitude de l’introspection et de l’écriture. Mais quel est donc ce « moi » que Montaigne raconte ?

Pour lui, la fréquentation des autres nous met sur la voie d’une compréhension de nous-même : « Ce grand monde est un miroir où il nous faut regarder pour se connaître bien soi-même. » Ainsi, si Montaigne lit, c’est parce qu’il se reconnaît dans les livres. Le moi que Montaigne s’attache à (d)écrire dans ses Essais est donc un moi fait du monde qui l’entoure et des livres qu’il a lus. Les œuvres que nous fréquentons sont en effet constitutives de notre rapport au monde et à notre propre personne. Nous avons tous eu l’impression de mieux connaître un ami après avoir observé sa bibliothèque, par exemple.

Si l’écriture des Essais repose sur un mouvement introspectif, il ne s’agit pas pour lui d’atteindre un moi profond, unique, une conscience isolée du monde, que la vie sociale dissimulerait. Au contraire, pour Montaigne, il n’y a rien en nous de substantiel ; nous sommes faits de nos opinions et de nos préférences, toujours changeantes. On ne peut se voir qu’à travers nos goûts et nos expériences, mais cette assertion nous met sur la voie d’une véritable conquête de soi : fréquenter des œuvres d’art et affiner nos goûts, c’est bien travailler à se connaître et à devenir soi. En ce sens, il est important de connaître ses préférences musicales, non pour les partager à d’autres mais pour en apprendre plus sur soi-même.

Proust : retrouver un temps perdu

Les plateformes comme Spotify s’appuient sur notre temps d’écoute pour déterminer nos goûts musicaux. L’idée est simple : ce que nous aimons le plus, c’est a priori ce que nous écoutons le plus souvent. Mais pourquoi sommes-nous parfois si obsédés par une petite phrase d’un morceau ou d’une chanson au point de l’écouter en boucle et, en l’écoutant, attendre qu’arrive enfin le tout petit passage que nous aimons le plus ? Dans La Recherche, la petite phrase musicale de la sonate de Vinteuil est un leitmotiv caractéristique de l’amour du personnage de Swann pour celui d’Odette. Lors d’une soirée passée avec Odette dans le salon des Verdurin, Swann reconnaît la toute petite phrase de cette sonate, qu’il avait déjà entendue l’année passée et qui « lui avait ouvert plus largement l’âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l’air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines ». Chez les Verdurin, la petite phrase réapparaît, comme une amie qu’il connaît et qui possède un charme « si individuel qu’aucun autre n’aurait pu la remplacer ». Associée ensuite à sa rencontre avec sa future femme, Odette, elle devient « l’air national de leur amour », avant que leur relation ne se dégrade.

Plus tard Swann, souffrant de l’éloignement d’Odette, revit son amour grâce à la musique : « Au lieu des expressions abstraites “temps où j’étais heureux”, “temps où j’étais aimé”, qu’il avait souvent prononcées jusque-là et sans trop souffrir, car son intelligence n’y avait enfermé du passé que de prétendus extraits qui n’en conservaient rien, il retrouva tout ce qui de ce bonheur perdu avait fixé à jamais la spécifique et volatile essence ; il revit tout, les pétales neigeux et frisés du chrysanthème qu’elle lui avait jeté dans sa voiture, qu’il avait gardé contre ses lèvres. »

Là où la vie apparaît comme une succession d’événements qui passent et s’éloignent, la musique garantit l’éternité des sensations. À chaque écoute, à chaque retour d’une petite séquence musicale, ce qui importe est cette relation d’échange qui va d’une expérience vécue à une autre expérience vécue, en les évoquant, en les faisant revenir, en les qualifiant. Nous voulons ré-entendre ces notes qui nous ont bouleversé au point de devenir vecteur d’intelligibilité de nos expériences. Et si nous échouons à retrouver ce temps perdu, nous conservons, grâce à l’art des sons, l’espoir de sentir notre âme s’ouvrir à nouveau.

Bourdieu : nos goûts disent surtout ce que nous ne voulons pas être

Préférer tel artiste à tel autre, dire que telle musique vaut la peine d’être écoutée quand d’autres ne sont pour nous qu’un bruit informe, n’est-ce pas, avant tout, se distinguer des autres ? Dans La Distinction (1979), le sociologue Pierre Bourdieu affirme que nos goûts sont conditionnés par notre milieu social. Les enfants de bourgeois pratiquent le tennis, les autres le foot. Dans notre enfance se forme notre habitus, dit Bourdieu, c’est-à-dire notre style de vie, notre système de préférences. L’habitus est une prédisposition à agir de telle ou telle façon qui nous influence quotidiennement – dans la manière de nous tenir, de parler ou de nous vêtir. L’habitus est ainsi bien plus qu’une simple habitude : produit par l’éducation, il nous prédispose à percevoir le monde de la façon dont le perçoit notre milieu social. Les musiques que nous écoutons correspondent donc à notre style de vie.

Ces styles de vie sont par ailleurs hiérarchisés et deviennent les vecteur d’une domination symbolique. Les classes dominantes font de leur goût le goût légitime, et leur goût devient ainsi le dégoût de celui des autres, des milieux plus populaires. « Ce qui est important, c’est que les goûts finalement sont des dégoûts. Ça, j’ai mis beaucoup de temps à le trouver. C’est le dégoût du goût des autres. Pour faire parler les gens sur leurs goûts, il faut leur faire parler de ce qui les dégoûte » (entretien dans l’émission Apostrophes du 21 décembre 1979). Dire qu’un morceau de musique est beau ou laid n’est donc pas un jugement seulement esthétique, mais un jugement social.

En partageant sur les réseaux sociaux le classement généré par les plateformes d’écoute, nous avons peut-être l’impression de nous distinguer, et de montrer aux autres que, nous, nous n’écoutons par exemple pas Angèle, Jul ou tel rappeur à la mode, mais un groupe post-punk du sud de l’Angleterre connu d’à peine une poignée d’aficionados. Mais si, dans son langage marketing, Spotify nous qualifie chacun de « héros » dont les goûts sont si particuliers, il faut bien nous rappeler que ce que nous aimons, c’est souvent que l’on nous a appris à aimer.

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