Pourquoi sommes-nous fascinés par les faits divers ?

Car ils nous purgent de nos mauvais instincts

Aristote (384-322 av. J.-C.)

Le point commun entre Iphigénie et l’affaire Grégory ? Tous deux sont un spectacle de la violence et du malheur « faits par des personnages en action et non au moyen d’un récit ». Ce déploiement du mal en action remplit une fonction cathartique. Dans sa Poétique, Aristote présente la catharsis comme une « purification » des passions mauvaises. Elle est donc un « traitement » à la fois individuel – car libérant de « l’empire de l’émotion » – mais aussi collectif. Procédant « par l’entremise de la pitié et de la crainte », le spectacle de la violence produirait « pour tous une certaine purgation et un soulagement ». On ne touche (au mal) qu’avec les yeux ! 

Car ils parlent de notre condition humaine

Montaigne (1533-1592)

Pour celui qui a fait de la condition humaine son grand sujet d’étude, la vie est « un mouvement inégal, irrégulier et multiforme ». Les faits divers se présentent alors, aux côtés des récits historiques, comme un moyen privilégié d’explorer les possibilités de l’existence humaine. Ils rendent d’abord manifeste le fait que la mort est l’essence de notre existence, elle qui « se mêle et se confond par tout à notre vie ». Plongeant dans les abîmes de l’âme humaine, ils donnent en outre à voir « l’étrangeté de notre condition ». En un mot, ils montrent bien que « la plus calamiteuse et fragile de toutes les créatures, c’est l’homme ». 

Car nous voulons les comprendre 

Cournot (1801-1877)

Face aux faits divers, nous nous comportons comme des détectives. Cependant, bien que les indices s’accumulent et que nos théories s’élaborent, nous butons sur une question : comment est-ce possible ? Si ces affaires en appellent à notre volonté d’attribuer une cause à un événement, cette volonté est vouée à n’être jamais assouvie. Pourquoi ? Car ils comportent une part de hasard – une « rencontre de deux séries causales indépendantes » pour le philosophe et mathé­maticien français Antoine-Augustin Cournot. Les faits divers fascinent donc parce que nous parvenons à leur attribuer une explication, sans cependant y trouver de sens.

Car ils nous procurent du divertissement

Bourdieu (1930-2002)

Dans son livre Sur la télévision, Bourdieu estime que « les faits divers, ce sont aussi des faits qui font diversion ». Excitant notre intérêt pour faire de l’audience sans pour autant susciter de polémique ni de débat, ils représentent pour le sociologue un pur produit des médias de masse, régis par la logique du marché. Leur but ? Capter notre attention, sans autre finalité. Ce faisant, ils nous détournent des « informations pertinentes que devrait posséder le citoyen pour exercer ses droits démocratiques ». En nous maintenant dans une passivité sans horizon, les faits divers nous mobilisent sans nous engager.