Pourquoi les philosophes sont-ils si souvent pessimistes ?

publié le 2 min

Louis Gérard, Paris

Il y eut, cher Louis, des philosophes optimistes – Leibniz, Marx, Auguste Comte… –, mais ils ont été plus raillés que les autres, quand ce n’est pas l’Histoire elle-même qui s’est chargée de moquer leur optimisme. On connaît les ravages de l’ironie voltairienne sur l’optimisme de Leibniz : dans Candide, le « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » de Leibniz résonne de manière de plus en plus grotesque à mesure que se succèdent les malheurs du monde. Au XIXe siècle, Marx ou Comte ont développé de grandes visions optimistes : l’Histoire ou la Science devaient nous libérer sous peu du malheur. Le XXe siècle s’est chargé de les ridiculiser. Face à cela se dresse ce que nous pourrions appeler le génie du pessimisme. Chez Hobbes, l’idée que « l’homme est un loup pour l’homme » ouvre une magistrale leçon de philosophie politique. Chez Nietzsche ou Sartre, l’idée que notre existence est dénuée de sens dessine la voie d’une pensée de l’allégresse ou de la liberté totale. Lorsque Cioran écrit que « le seul inconvénient, c’est d’être né », il nous apprend à trouver de la jubilation dans cette lucidité. À croire, finalement, que cette exigence philosophique qu’est la lucidité entretient de meilleures relations avec le pessimisme qu’avec l’optimisme. Peut-être même pourrait-on trouver là une ligne de partage entre la philosophie et la religion monothéiste. La philosophie aurait pour ambition de penser ce qui est, avec son lot de violence et d’injustice, là où la religion monothéiste ambitionnerait plutôt de nous consoler en nous promettant un autre monde. La philosophie serait en fait moins pessimiste que lucide ou réaliste, mais elle nous semblerait pessimiste dans la mesure où nous ne sommes pas habitués à regarder la réalité en face, voire habitués par la religion à nous illusionner sur la nature du réel. À cette lecture philosophique, nous pourrions ajouter une interprétation psychologique : c’est parce que le monde pose problème que la philosophie existe. C’est parce que ma vie est compliquée que j’entre en philosophie, parce que son sens m’échappe que je commence à m’interroger. Il n’est donc pas surprenant que la philosophie porte la marque de ce souci qui l’a fait naître. Mais ici encore : souci, inquiétude ou lucidité ne signifient pas forcément pessimiste. Le soupçon demeure donc : que la philosophie soit moins véritablement pessimiste que vue comme telle par tous ceux qui, soutenus dans leur déni par la religion, la pensée positive ou la mauvaise foi, préfèrent ne pas regarder le monde comme il est et se voiler la face.

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