Cinq philosophes en quête de l’esprit européen

Victorine de Oliveira publié le 6 min

Si Hegel n’hésite pas à proclamer que l’Europe est la « fin de l’histoire universelle », cet idéal ambitieux et effrayant du début du XIXe siècle fait rapidement place à des voix plus inquiètes, de Nietzsche à Patočka, qui rappellent aux Européens que c’est aussi le scepticisme et le pessimisme qui les caractérisent.

 

G. W. F. Hegel (1770-1831)

La conviction d’être supérieur

L’Afrique, selon Hegel ? « Ce continent n’est pas intéressant du point de vue de sa propre histoire, mais par le fait que nous voyons l’homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation. » La Chine ? « Les Chinois sont gouvernés comme un peuple de mineurs ; leurs coutumes éthiques ont donc aussi comme caractère la non-indépendance. » L’Inde ? « On ordonne à l’Indien ce qu’il y a de plus absurde. Tout ce qui repose sur la volonté propre, sur la volonté libre, est exclu des institutions indiennes. » Évidemment, aujourd’hui, de telles citations, qui appartiennent aux Leçons sur la philosophie de l’histoire (1837), sont insupportables ; et si l’on enseigne toujours le système hégélien dans les classes de philosophie, on cache ces développements sous le tapis. Pourtant, ces citations sont profondément liées au système hégélien : en effet, l’Histoire des civilisations humaines est linéaire, ordonnée, elle consiste en la réalisation progressive de la Raison, de l’Esprit, de l’Idée de la liberté humaine. Selon cette grande perspective unificatrice, l’Europe « est de façon absolue la fin de l’histoire universelle ». Parce que c’est en Europe seulement qu’il existe un État garantissant la liberté. Il n’y a pas d’institutions politiques en Afrique, soutient Hegel ; les Chinois sont gouvernés comme des enfants par un empereur-patriarche qui leur impose des coutumes ancestrales ; quant aux Indiens, ils sont prisonniers du système des castes. La grande invention de l’Europe, c’est donc, aux yeux de Hegel, l’État moderne, qui se réalise en Prusse mieux que partout ailleurs : « L’État doit demeurer l’âme, le maître, le soi, c’est de lui que doivent provenir détermination et légitimation […]. Ce qui est spécifique aux États germaniques est qu’y prévaut la particularité. »

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