“Pour un féminisme universel”, de Martine Storti
À l’instar des gauches, les féminismes seraient-ils irréconciliables ? La question semble devoir se poser à l’heure où les sujets de dissension se multiplient et où des courants distincts se posent comme ennemis les uns des autres. Journaliste et philosophe, figure du Mouvement de libération des femmes (MLF) dans les années 1970, Martine Storti signe, avec Pour un féminisme universel (Seuil, 104 p. 11,80 €), un manifeste de l’équilibre et de la (possible) réconciliation. Prenant acte des attaques parfois injustes adressées à un supposé « féminisme blanc » par des féministes « décoloniales », l’autrice invite à ne pas abandonner la critique de cette nouvelle radicalité à la droite et à l’extrême droite, qui instrumentalisent le féminisme à des fins identitaires. Il s’agit de se placer sur une ligne de crête pour éviter les impasses des deux camps et faire signe vers un féminisme véritablement universel qui n’« impose [pas] du particulier » mais « ouvre des possibilités ».
Cartographie des forces en présence
- Premier courant : le féminisme « intersectionnel ». Cette approche entend mettre l’accent sur les différentes oppressions que peuvent subir les individus selon leur place dans la société – ainsi d’une femme noire lesbienne, qui pourra subir à la fois le sexisme, le racisme et l’homophobie quand une femme blanche hétérosexuelle pourra ne subir « que » le sexisme. Mais, écrit Martine Storti, « une vision positive et fructueuse de l’intersectionnalité n’interdit pas de remarquer qu’elle s’est retournée, hélas ! en son contraire ». Plutôt que de combattre ensemble les oppressions de classe, de race et de genre, les mouvements qui mettent aujourd’hui le plus en avant l’approche intersectionnelle – les féministes « décoloniales » – ont tendance à mettre l’accent sur l’un des termes (le plus souvent la « race ») au détriment des deux autres. C’est, pour l’autrice, ce que fait par exemple le collectif afroféministe Mwasi quand il appelle à abandonner la pénalisation du harcèlement de rue au motif que celle-ci stigmatiserait en priorité des hommes « racisés ».
- Deuxième courant, le féminisme marxiste, qui rattache le patriarcat à la domination capitaliste, mais peut tendre à faire de toute manifestation du premier un effet annexe de la seconde. En secondarisant, donc, la lutte féministe. Par exemple, quand les autrices de Féminisme pour les 99 %. Un manifeste (La Découverte, 2019) relativisent la primauté accordée au combat pour l’avortement au motif que « l’avortement légal ne représente pas grand-chose pour les femmes pauvres et les ouvrières qui n’ont ni les moyens de le payer ni la possibilité d’accéder aux cliniques ».
- La riposte réactionnaire. Quand les « décoloniales » présentent le féminisme qui a prévalu jusqu’alors comme par essence blanc et occidental pour le stigmatiser, les conservatrices et réactionnaires le font pour s’en targuer : l’égalité entre les hommes et les femmes serait une valeur occidentale ou française à laquelle seraient imperméables les autres cultures, qu’il serait ainsi loisible de fustiger. Ici comme là, « le féminisme est embarqué sur le navire de l’identité, ce qui pouvait lui arriver de pire », déplore Martine Sorti. Ainsi des journalistes Eugénie Bastié ou Élisabeth Lévy, qui peuvent s’afficher en défenseuses de l’émancipation des femmes pour s’en prendre au patriarcat des « banlieues islamisées » et lutter contre le port du voile, tout en fustigeant la « terreur féministe » en s’opposant à la PMA pour toutes.
Comment sortir de l’impasse ?
En dessinant une ligne de crête universelle et en évitant le piège identitaire. Tel est en tout cas le programme de Martine Storti. Elle entend dépasser la « double-occidentalisation » – celle qui fait du combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes une propriété de l’Occident ou celle qui la dénonce comme une forme de néocolonialisme. Elle fait signe vers un féminisme véritablement « universel ». Celui-ci entend redonner à l’émancipation des femmes son historicité, montrer qu’elle est le fruit d’une conquête historique qui, si elle a eu lieu à tel endroit à tel moment, peut se reproduire ailleurs, même si les modalités sont différentes. Il n’impose pas de définition de ce que doit être une femme émancipée mais revient à des « mots concrets » – avortement, harcèlement, sexisme, violences – qui les concernent toutes. Selon Storti, il s’agit ainsi de tracer des chemins d’émancipation plutôt que d’intenter des procès, sans se fondre dans un moule uniforme. Les paroles plurielles suscitées par #metoo sont, pour l’écrivaine, un signe encourageant en ce sens.
Pour un féminisme universel, de Martine Storti (Seuil,104 p., 11,80 €) est disponible ici.
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