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Le livre du jour

“Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?”, de Gisèle Sapiro

Catherine Portevin publié le 08 octobre 2020 4 min

L’ex-femme d’Emmanuel Carrère a-t-elle raison d’interdire à l’écrivain de l’évoquer dans ses livres ? Fallait-il donner un César à Roman Polanski alors qu’il a été poursuivi pour viol ? Et le Nobel à Peter Handke, alors qu’il a soutenu les Serbes durant la guerre de Yougoslavie ? Houellebecq est-il islamophobe ? La philosophie de Heidegger est-elle antisémite ? Doit-on interdire la republication des pamphlets de Céline, censurer les chansons misogynes du rappeur Orelsan, décrocher des musées les toiles de Gauguin, qui aurait abusé de ses jeunes modèles ? La pédophilie de l’écrivain Gabriel Matzneff a-t-elle bénéficié d’une indulgence coupable de la part des critiques littéraires ? Et cætera, et cætera.

La liste est longue, de ces « affaires » sur lesquelles nous aimerions avoir l’avis moral tranché qu’elles requièrent et qui serait valable pour toutes. Or justement : si elles s’argumentent comme des matchs de « pour » et de « contre », elles ne peuvent se trancher qu’au cas par cas. Mais elles ont en commun une grande question classique, Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?, que reprend fort opportunément la sociologue de la culture Gisèle Sapiro dans son essai qui paraît aujourd’hui aux Éditions du Seuil. Critère par critère, cas par cas, elle tente de la démêler et d’y répondre avec crêtes et nuances.

Un exemple : l’affaire Polanski

Gisèle Sapiro détaille plusieurs cas d’« auteurs scandaleux », soit par leur conduite privée (Polanski, Matzneff…), soit par des prises de position idéologiques condamnables (Heidegger, Maurras, Renaud Camus, Richard Millet, en traitant à part le cas de Peter Handke). En croisant les critères (selon la nature des actes commis et leur rapport avec l’œuvre), elle examine chaque fois comment s’affrontent, et se disqualifient mutuellement dans les débats, deux positions « idéaltypiques » : dissocier l’oeuvre et l’auteur, ou au contraire les rendre inséparables dans le jugement moral ou politique que l’on porte sur eux. Illustration avec l’affaire Polanski, lors de la remise des César en février 2020.

  • Ce qui a fait scandale : sa récompense en février 2020 par le César du meilleur réalisateur pour son film J’accuse. La moralité de l’œuvre n’est pas en cause mais celle de son auteur – puisque celui-ci a été condamné pour viol sur mineure en 1977 (même s’il a été à plusieurs reprises publiquement pardonné par la première concernée) et, plus récemment, s’est à nouveau retrouvé sous le coup d’accusations pour des faits similaires, tous prescrits par la justice. 
  • La question qui fait débat : récompenser l’œuvre, est-ce absoudre l’homme ?

 

1. Oui, répondent les associations féministes : sacrer Polanski, c’est l’absoudre et minimiser symboliquement la gravité de la violence masculine. Elles refusent de dissocier l’œuvre de l’homme, ou plutôt l’artiste de l’homme. « On trimballe ce qu’on est et c’est tout », lance l’écrivaine Virginie Despentes. L’œuvre est secondaire, elles n’en demandent pas la censure. Le problème central est « le sens d’une récompense ».

  • Validité de cette position : affirmer la valeur du jugement moral et ne pas en exclure les artistes et intellectuels par principe. Ils ne sont pas hors du social, ils ont une responsabilité. Le débat public est légitime. Ne pas dissocier l’œuvre de l’auteur a permis aussi dénoncer par exemple l’inscription de l’écrivain Charles Maurras, membre de l’Action Française et collaborationniste d’extrême-droite, dans la liste des commémorations nationales.  
  • Faiblesse de cette position : rendre possible la censure des œuvres (même si ce n’est pas le cas dans l’affaire Polanski) pour des raisons politiques ou morales extérieures, qui concernent le contexte de leur réception, le jugement porté sur les idées qu’elles véhiculent, ou la personne de l’auteur. La cancel culture, qui réclame « l’annulation » des œuvres du passé en fonction d’une sensibilité morale et politique présente, ou qui interdit par exemple à un artiste blanc d’écrire sur l’esclavage, représente l’excès ultime de la fusion de l’œuvre et de l’auteur. En ne reconnaissant aucune autonomie de l’œuvre d’art, c’est l’art même qu’elle condamne.

 

2. Non, répondent les partisans de Polanski : l’œuvre doit être jugée pour elle-même, pour son excellence intrinsèque, qui n’implique pas les actes de la personne de l’auteur. Ils séparent l’œuvre de l’auteur, dissocient la morale de l’œuvre de la morale de l’auteur, et défendent l’autonomie de l’œuvre au nom de la liberté de l’art. Ils dissocient aussi l’art de la justice, considérant que le jugement artistique doit être absolument autonome du jugement judiciaire ou social. C’est ce que Gisèle Sapiro appelle « la position esthète ». Celle-ci a une longue tradition en France depuis le XIXe siècle, même si les Ligues pour la liberté de l’art n’ont jamais obtenu qu’elle soit juridiquement codifiée en accordant à l’œuvre ou à l’artiste un statut d’exception. L’artiste reste soumis aux règles qui limitent la liberté d’expression (incitation à la haine ou à la violence contre des personnes ou des groupes en raison de leurs origines, de leur religion, de leur sexe ou de leurs préférences sexuelles).

  • Validité de la position esthète : protéger la liberté intellectuelle et esthétique de toute incursion d’un pouvoir, religieux, politique ou social, extérieur au champ culturel. « L’histoire de l’art grouille de salopards qui sont aussi de grands artistes, et la morale n’a pas à s’immiscer dans la création », a tranché le critique Pierre Jourde en défense de Polanski. 
  • Faiblesse de cette position : elle rejette ou refoule toute objection morale et politique, au nom d’une sacralité de l’art. Seul doit régner le jugement de goût, dans l’illusion que celui-ci est indépendant de la subjectivité du critique et de toute détermination sociale. Ce qui peut conduire à « l’abus d’autorité ». C’est ainsi par exemple que durant des années, l’écrivain Gabriel Matzneff, qui faisait clairement dans son Journal l’apologie de sa pédophilie, a été encensé, au nom de la liberté de l’art, par les critiques littéraires… jusqu’à ce que le livre de l’une de ses victimes, Le Consentement, de Virginie Springora (Grasset, 2020), présente une réalité toute autre.
  • Quant à Roman Polanski, il a été admis à siéger l’Académie des arts et techniques du cinéma (Académie des César) le 15 septembre dernier.

 

Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?, de Gisèle Sapiro, vient de paraître aux Éditions du Seuil. Disponible ici, l’ouvrage est en librairie depuis le 8 octobre.

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