“Toujours la tempête”: le souffle narratif de Peter Handke
« Le cœur, le centre de mon écriture est le récit, la longue narration, exhaustive, oscillante, sinueuse, et de nouveau laconique : c’est cela moi. C’est moi, c’est moi tout entier » écrit Peter Handke dans Espaces intermédiaires. Ce long récit sinueux fait la matière de Toujours la tempête, mis en scène par Alain Françon aux Ateliers Berthiers du Théâtre de l’Odéon.
Sur un large plateau étalé qui se déverse vers l’avant, tenant du puzzle ou d’un fragment de globe terrestre, figurant un morceau de Carinthie au sud de l’Autriche, une famille palabre. Déchirée par la guerre, poussée à l’exil sur sa propre terre et dans sa propre histoire, elle tient le souffle de la vie, malgré les hivers et la guerre.
Peter Handke, dans ce texte inspiré, raccommode les souvenirs dans un large récit où se mêle une tendresse bucolique et la froidure de la guerre. S’y retrouvent les démons de l’identité et la question de la langue qui hante son univers, et qu’il transpose dans ce théâtre d’ombre, projeté sur cette lande où les morts sont convoqués par un narrateur, en bordure de scène. « C’est vrai que j’ai quitté l’Autriche, mais physiquement seulement, écrit Peter Handke. Une partie de moi est restée là-bas, avec mes ancêtres, les ruisseaux, les vergers, les cimetières, et aussi la langue allemande qui est ma langue maternelle, même si ma mère était slovène. »
Cette partie de soi restée au pays resurgit sur scène, grâce à une distribution de prestige. Parmi elle, Dominique Reymond remarquable dans le rôle d’une mère enthousiaste, Wladimir Yordanoff dans celui du grand-père, vieux paysan, ou Laurent Stocker, le narrateur, « Moi », revenu sur la steppe de son passé.
La direction, malheureusement, coupe court le souffle épique de l’auteur. Alain Françon fige dans un statisme glaçant ces lignes de vie pourtant dynamiques qui se croisent sur ce recoin du monde, sous la loupe et la plume grossissante de Peter Handke. Près de trois heures trente sont nécessaires au développement de ce récit poétique ; bien trop de langueur, là où un traitement à grande vitesse aurait sans doute rendu grâce à la narration et la verve de Peter Handke, passé maître dans l’art de la fuite et du rebondissement lyrique et prosaïque.
À l’issue de la représentation, les points de vue éclatés de cette famille éparpillée ne forment plus qu’un grand vent, une tempête qui balaie les trajectoires, pour ne conserver qu’un courant qui emporte tout.
« Il y a plusieurs voix en moi, souffle Peter Handke. Je ne suis pas schizophrène, au sens où je ne suis pas fou, mais j’ai tout de même une tendance schizoïde. Pendant la journée, plusieurs voix en moi parlent et se contredisent, m’insultent ou me caressent, comme elles insultent ou caressent le monde. Dans mon théâtre, je les laisse s’exprimer. Même si je ne me considère pas prioritairement comme un dramaturge, mais plutôt comme un auteur épique. Narratif et épique. »
C’est là la morale de ce bout d’histoire aux échos autobiographiques (Peter Handke étant né lui-même en 1942 dans un village de Carinthie) : il ne reste jamais à l’homme que le récit pour donner du sens à son action et à son existence. « Agis de telle sorte que tes actions puissent former un récit » écrit-il. Les plus téméraires des spectateurs l’auront entendue, cette morale, par delà cette tempête qui n'en finit pas.
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