“Néo-Van Gogh”, ou quand la technique croit ressusciter des œuvres originales effacées

Vous n’avez pas les moyens de vous offrir un Van Gogh ? Rassurez-vous, vous allez bientôt pouvoir acquérir un néo-Van Gogh, comme vous pouvez déjà acheter un néo-Modigliani. C’est du moins ce que propose une start up britannique qui, grâce aux rayons X et à l’intelligence artificielle, reconstitue les tableaux recouverts par d’autres peintures : des originaux disparus. Opportunité artistique et technologique géniale, ou arnaque commerciale ?

Faire renaître des œuvres ensevelies

Oxia Palus est le nom donné à une certaine région de la planète Mars qui correspond au code USGS MC-11 et qui est l’une des plus prometteuses en ce qui concerne la possibilité d’une trace de vie martienne. C’est également le nom choisi par le Libanais Anthony Bourached et l’Anglais George Cann pour leur start up au concept inédit intitulé Neomasters : se servir des rayons de l’imagerie à fluorescence X pour dévoiler l’existence cachée d’anciennes peintures qui ont été recouvertes sous d’autres, puis les travailler à l’aide de l’intelligence artificielle, et enfin les imprimer grâce à une imprimante 3D qui reproduit la touche des artistes. La technique a déjà fait ses preuves avec notamment une Madone de Léonard de Vinci et un Portrait de Béatrice Hastings par Modigliani (en vente pour un peu plus de 22 000 $, en édition limitée) plus ou moins convaincants : les tracés des contours semblent assez hasardeux. Mais il y a quelques jours, la Focus Art Fair du Carrousel du Louvre à Paris vient de présenter un nouveau tableau autrement plus intéressant : un affrontement entre Deux Lutteurs, découvert en 2012 sous une nature morte de fleurs des champs dans un vase signé Van Gogh. Or l’existence de ce premier tableau, considéré comme perdu, était avérée. Une intelligence artificielle a appris le style de Van Gogh à partir de ses autres toiles, à savoir son usage des couleurs et ses coups de pinceaux, a permis de le « recréer », de l’imprimer en relief et de le signer d’un nom étrange, « Néo-Van Gogh ».

L’œuvre d’art à l’ère de l’intelligence artificielle

Ce sont donc des technologies de pointe qui permettent à ces œuvres de (re)voir le jour. Voilà qui aurait interpellé le Walter Benjamin auteur de L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (première édition incomplète 1935, édition posthume 1955) : le philosophe avertissait du danger induit par les facilités de reproduction permises par le progrès technique, qui faisaient perdre aux œuvres d’art une part de leur prestige, de leur sacralité, autrement dit de ce qu’il appelle leur « aura ». Cette aura vient en effet de l’effet produit en nous par la rencontre avec une œuvre originale quand cette rencontre est vécue comme un événement unique et exceptionnel, presque sacré. N’est-ce pas l’inverse qui se produit à la vue de ces Deux Lutteurs ? Ce qui est exceptionnel, dans le cas présent, c’est que cette œuvre qui semblait disparue à jamais puisse apparaître, de manière inespérée, devant nos yeux ébahis, comme un véritable miracle de résurrection.

Vrai ou faux Van Gogh ?

Pourtant, ne nous y trompons pas : ce n’est pas un Van Gogh original, pas un « vrai » Van Gogh. D’abord, parce que le peintre lui-même a jugé bon de recouvrir cette toile, dont il n’était donc pas satisfait. Ensuite et surtout, parce qu’il ne faut pas oublier que c’est l’intelligence artificielle qui a fait les arbitrages concernant les tracés et les couleurs en se fondant sur les autres réalisations du peintre préalablement authentifiées : ce qui est vendu comme une fidélité au style original de Van Gogh ne fait que nous conforter dans tout ce que nous savions déjà de son art … et nous montre donc exactement ce que nous nous attendions à voir, notamment les larges touches de son pinceau torturé. Son fonctionnement l’impose : l’intelligence artificielle est conformiste puisqu’elle ne fait que recomposer autrement le déjà connu. Sans surprise. Alors oui, ce tableau est en apparence typique des peintures à la Van Gogh, mais c’est bien en cela qu’elle déçoit : elle qui n’avait jamais été vue n’inspire, paradoxalement, rien de plus que ce que le philosophe et critique d’art Remo Bodei appelle dans son ouvrage éponyme La Sensation de déjà-vu. Rien de nouveau, donc, à attendre de la part de Néo-Van Gogh !