“Ne parlons pas de Bruno” : et s’il s’agissait de Bruno Latour ?

La chanson « Ne parlons pas de Bruno ! », tirée du dernier long métrage animé de Walt Disney, Encanto, connaît un immense succès au point de devenir la chanson la plus écoutée sur les plateformes musicales. Le Bruno en question est un homme étrange, un peu maudit, et dont on évite de mentionner l’existence parce qu’il a le tort de voir l’avenir, et notamment la catastrophe prochaine d’une maison qui commence à se fissurer.

“Ne parlons pas de Bruno”, la chanson du film animé de Disney, Encanto (2021).

Mais si cette maison appelée à s’effondrer était notre Terre, et si ce Bruno n’était autre que le philosophe Bruno Latour ? Interprétation philosophique.

La bande annonce du dernier film animé de Disney, Encanto (2021).

Une image du paradis… bientôt perdu

Rappelons brièvement l’histoire d’Encanto, pour ceux qui n’auraient pas encore vu le film signé Walt Disney. Tout se passe en Amérique du Sud autour d’une grande maison enchantée habitée par une famille apparemment joyeuse où chaque membre est doté d’un don, c’est-à-dire d’un superpouvoir magique. Mais cette belle carte postale va bientôt se fissurer, au propre comme au figuré. D’abord parce que l’héroïne, Mirabel, la cadette de la famille, est manifestement dépourvue du moindre superpouvoir. Ensuite, parce qu’il va vite apparaître que la maison n’est pas si solide qu’on l’avait cru, et même qu’elle s’apprête à s’effondrer sur elle-même, comme l’avait prédit le personnage de Bruno, qui est parti de la maisonnée parce qu’on lui reprochait ses visions pessimistes.

Une métaphore de l’effondrement

Mais si toute cette histoire n’était qu’une vaste métaphore de la catastrophe écologique à venir ? Cette maison qui nous rassemble, c’est la Terre, c’est-à-dire Gaïa. Mais cette maison va mal, et ses craquelures deviennent de plus en plus visibles, au point de la mettre en péril. Les miracles de la technique ne font plus leur effet, et nous sommes comme les personnages d’Encanto : nous ne savons plus si nous pouvons encore croire ou non à cette magie ou si nous devons devenir résignés et désenchantés. Comme Mirabel, nos pouvoirs nous semblent d’ailleurs bien faibles en comparaison de ceux des générations précédentes. Nous devinons plus ou moins consciemment que l’avenir est sombre, que cette vie heureuse et cette belle harmonie familiale ne seront bientôt plus mais nous préférons vivre dans une sorte de déni de réalité.

Bruno Latour, visionnaire

Et Bruno alors ? Qui est cet homme mince à la barbe légère dont il faut taire le nom ? Il n’est pas si farfelu d’y voir une référence plus ou moins inconsciente à Bruno Latour. De manière parfois cryptique, le philosophe français est en effet celui qui avait prédit avant tout le monde ce qui allait se passer, mais qu’on n’a pas voulu écouter, et qu’on a chassé de la maison – même si, en réalité, il est toujours resté là. On sait en effet que la carrière universitaire de Bruno Latour s’est toujours effectuée dans les marges des institutions. L’auteur d’Où atterrir ? (2017) et de Face à Gaïa (2021) alerte pourtant depuis longtemps sur le changement climatique et la catastrophe écologique qui s’annonce et que nous refusons, collectivement, d’admettre, en faisant mine de pouvoir continuer notre vie d’avant, comme si de rien n’était. Et si nous ne voulons pas parler ni entendre parler de Bruno, c’est parce que nous n’aimons jamais les Cassandre et autres porteurs de mauvaises nouvelles.