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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Richard Dumas pour PM

Bruno Latour, les pieds sur Terre

Alexandre Lacroix publié le 22 octobre 2015 18 min

Dans son dernier essai, le philosophe des sciences Bruno Latour reprend – et affine – la fameuse « hypothèse Gaïa » qui fait de notre planète un système vivant. Mais, chez lui, la rigueur conceptuelle prend le pas sur les spéculations New Age. Êtes-vous prêts à remettre en cause tout ce que vous pensiez de l’écologie ?

Dans votre dernier livre, vous prenez au sérieux l’« hypothèse Gaïa » formulée par James Lovelock en 1970. Vous comparez même Lovelock à Galilée ! Or, Lovelock est un « chercheur indépendant », que la plupart des universitaires considèrent comme un doux dingue. D’où vient votre engouement pour Lovelock ?

Bruno Latour : Le travail du philosophe est, je crois, de lire les livres attentivement, du début à la fin – ce que très peu de gens font. Mon intérêt pour Lovelock est issu de la lecture suivie de ses ouvrages. Je ne m’intéresse donc pas au Lovelock transformé en sage ou en icône d’une religion New Age de Gaïa. Non, ce qui m’intéresse, c’est que ce chercheur a formulé rigoureusement une évidence, que d’autres avaient pressentie, mais qu’il est le premier à documenter de façon assez complète : la Terre n’est pas inerte. Voilà sa découverte. Autrement dit, l’environnement n’est pas un entourage passif pour des êtres qui tenteraient d’y survivre. Au contraire, notre environnement est intégralement façonné par le vivant. L’exemple le plus évident est la composition de l’atmosphère : l’oxygène que nous respirons a été produit par les végétaux, par photosynthèse.

 

L’exemple du plancton dans les nuages est aussi assez éloquent.

C’est exact, le phytoplancton marin émet des aérosols de matière organique et des sulfures de diméthyle, sur lesquels viennent ensuite se former les gouttelettes d’eau qui donnent naissance aux nuages et aux précipitations. Nous savons aussi que la canopée de la forêt amazonienne modifie la composition chimique des nuages ; l’Amazonie entretient une énorme masse de brumes au-dessus d’elle, qui joue un rôle majeur dans la régulation thermique de la Terre. Nous avons découvert récemment que des micro-organismes vivaient jusqu’à 4 kilomètres de profondeur, dans les pores des roches volcaniques, avec des températures élevées – ainsi la zone propice au vivant, que les biologistes appellent aussi la « zone critique », descend bien plus loin que nous ne le pensions. Ce que nous avions cru inanimé – l’air, les nuages, les roches – est saturé de vie, en transformation perpétuelle. C’est cela, l’« hypothèse Gaïa ».

 

Quel rapport avec Galilée ?

La comparaison de Lovelock avec Galilée relève, je vous l’accorde, de la mise en scène. Néanmoins, les gestes scientifiques de l’un et de l’autre sont symétriques. En 1610, Galilée publie Le Messager céleste, où il rend compte de ses observations astronomiques. Il y confirme que la Terre n’est pas au centre de l’Univers, mais qu’elle tourne autour du Soleil. Il projette également l’humanité vers l’espace, en montrant qu’il existe d’autres soleils. Avec Galilée commence l’aventure de la science moderne, qui n’aura de cesse de spéculer sur les dimensions et les possibilités d’exploration de l’Univers. Quant à James Lovelock, son premier travail scientifique est lié à la planète Mars. Dans les années 1960, il travaillait pour la Nasa. Il étudiait la possibilité de l’existence de la vie sur Mars. Il a rendu un rapport pionnier, expliquant que Mars ne pouvait être habitée par des êtres vivants, car son atmosphère est bien trop inerte comparée à la nôtre, toujours en mouvement. Par ce geste, il nous a aidés à prendre conscience de la singularité de la Terre, seul lieu que nous connaissions où les formes évoluées de vie sont possibles, pour la simple raison que notre planète a été transformée pendant des millions d’années par l’action du vivant. Galilée nous invitait à partir dans l’espace, Lovelock nous rappelle combien nous sommes Terriens.

 

Lovelock dit parfois que Gaïa est « bienveillante », qu’elle protège la vie. Vous êtes d’accord ?

Absolument pas, et du point de vue philosophique, c’est là que les problèmes commencent ! Pour moi, le coup de génie de Lovelock est d’avoir saisi que notre environnement était animé et modifié par les organismes vivants. Mais, très vite, certains de ses lecteurs, et parfois lui-même, ont fait un pas de plus : ils en ont déduit que la Terre était vivante au sens où elle serait elle-même une sorte de grand organisme, ou un être. Lovelock est un autodidacte en philosophie. Il tâtonne, il y a souvent de la confusion conceptuelle dans ses propos. L’erreur conceptuelle, selon moi, est d’imaginer que l’histoire de la vie sur Terre serait pilotée, qu’elle suivrait une sorte de chemin, qu’elle aurait au-dessus d’elle une protection quasi divine… Si vous dites que Gaïa est une entité unifiée, un organisme gigantesque, et qu’elle est bienveillante, vous n’êtes plus très loin de la Providence divine. Mais cette erreur est fréquente, car les scientifiques, les biologistes en particulier, ne possèdent pas vraiment de concept alternatif à la Providence. C’est pourquoi, lorsqu’ils tentent de tirer des conclusions générales de leurs études, ils retombent souvent dans une vision religieuse du monde, et leur théologie est rudimentaire, voire caricaturale.

 

Donc Gaïa n’est pas bienveillante ?

Cela n’a aucun sens d’attribuer à Gaïa des sentiments ou des intentions de ce type ! Je voudrais rappeler que, dans la mythologie grecque, Gaïa est une déesse assez terrible. Elle donne naissance à Cronos, mais aussi à une foultitude de monstres – cyclopes, Titans, Hécatonchires (créatures à cinquante têtes et cent bras)… Par ailleurs, elle se comporte très mal et va se débrouiller pour encourager la rébellion de Cronos contre son père, puis celle de son petit-fils Zeus contre Cronos. Elle met à mort mari et enfants. Une simple lecture de ce mythe devrait nous mettre en garde contre les versions trop mièvres de l’hypothèse Gaïa. Enfin, n’oubliez pas que ceci relève du discours du mythe, pas de la vérité révélée !

 

De manière plus scientifique, on peut aussi montrer que le processus de développement de la vie sur Terre a été chaotique. Quand la quantité d’oxygène a augmenté fortement dans l’atmosphère – il y a environ 2,2 milliards d’années –, toutes les formes de vie qui dépendaient du CO2 et du soufre ont été balayées…

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Article issu du magazine n°94 octobre 2015 Lire en ligne
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