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Comment surmonter les dysfonctionnements profonds de l’Église ? Photo d’illustration. © Valéry Hache/AFP

Entretien

Nathalie Sarthou-Lajus : “Face à l’enfant, le prêtre peut être tenté par la toute-puissance”

Nathalie Sarthou-Lajus, propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron publié le 18 octobre 2021 6 min

Stupeur et tremblements dans l’Église catholique. Rendu public début octobre après deux ans et demi d’enquête, le rapport Sauvé a révélé quelques 216 000 cas d’abus sexuels au sein de l’institution depuis 1950. Un chiffre « très certainement minoré », selon la philosophe Nathalie Sarthou-Lajus, pour qui « la structure de l’Église nourrit l’entre-soi, le déni et la dissimulation ». Après Rémi Brague, nous avons donc choisi de donner la parole à cette chrétienne convaincue, rédactrice en chef adjointe de la revue jésuite Études et fine connaisseuse de la question religieuse. Son constat est sans appel : il y a, selon l’expression du pape François, une « culture de mort » au sein de la prêtrise, qui « détruit les sujets au lieu de les construire ».

 

Vous attendiez-vous à l’ampleur des révélations du rapport Sauvé ?

Nathalie Sarthou-Lajus : Nous avions déjà conscience d’un certain nombre de faits. Dans la revue Études, Pierre de Charentenay alertait déjà sur la pédocriminalité au sein de l’Église il y a plus de dix ans. Nous avions aussi conscience du caractère systémique du problème : la pédocriminalité dans l’Église n’est pas seulement une affaire de déviances individuelles, un problème marginal d’individualités perverses. Mais nous n’avions pas conscience de l’ampleur du phénomène. C’est un véritable choc – d’autant plus que les chiffres avancés sont très certainement minorés. Toutes les victimes n’ont pas encore parlé. L’Église est le deuxième lieu, en terme de prévalence des abus sexuels sur mineurs, après la famille.

“Dans l’Église, il n’y a pas de contre-pouvoir pour éviter les aveuglements de sa structure pyramidale” Nathalie Sarthou-Lajus

 

À quoi tient le caractère systémique du problème ?

Le caractère systémique du problème engage la responsabilité de la hiérarchie ecclésiale. C’est, en un sens, le mode de fonctionnement même de l’Église qui a dysfonctionné, rendant possible l’ensemble de ces déviances, et certainement bien d’autres : au-delà des agressions sexuelles sur mineurs [concernant, selon le rapport, à 62% des victimes masculines], il y a des abus spirituels de toutes sortes, des phénomènes d’emprises, de harcèlement, etc. Des abus dont les femmes sont en particulier victimes. Comme l’a très bien dit la sociologue Nathalie Bajos, qui a travaillé sur le rapport Sauvé, l’Église est l’une des dernières institutions à revendiquer une forme de domination masculine, patriarcale. Les abus dans l’Église sont, en partie, liés à la structure extrêmement pyramidale de l’autorité, qui nourrit l’entre-soi, le déni et la dissimulation. Il n’y a pas de contre-pouvoir pour éviter ces risques d’aveuglements. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles les autorités ecclésiales ont été incapables de gérer les prêtres prédateurs, préférant protéger l’institution derrière une unité de façade. Le pape François a déjà annoncé sa volonté de transformer ce mode de gouvernance problématique, et d’engager l’Église dans une démarche synodale. L’objectif, c’est de favoriser la responsabilité des laïcs – hommes et femmes – au sein de la vie de l’Église, de jeter les bases d’une responsabilité collégiale entre clercs et laïcs. Nous attendons beaucoup du synode qui se tiendra prochainement.

“L’absolu est dangereux dès lors qu’il occulte l’ambiguïté, qu’il n’est pas interrogé, questionné, discuté. C’est ce qui manque dans la formation des prêtres” Nathalie Sarthou-Lajus

 

Y a-t-il d’autres explications à la pédocriminalité dans l’Église, en dehors des gestions de gouvernance ?

Au-delà de la question de la gouvernance, il est nécessaire de revoir certains fondamentaux sur lesquelles l’Église s’est construite. C’est en particulier vrai pour le statut du prêtre – auquel le pape s’est déjà attaqué, lorsqu’il dénonçait le cléricalisme. Le statut « à part » du prêtre est une partie du problème. Il peut entretenir, dans certains cas, la tentation d’une toute-puissance – alors même qu’il devrait être le premier serviteur. Ce statut à part du prêtre entretient une image idéale alors qu’il reste un homme faillible. Les laïcs sont maintenus dans une sorte de minorité éternelle par rapport aux clercs, ce qui crée un climat de docilité particulièrement dangereux quand il s’agit d’enfants ou de personnes vulnérables. Ce statut a, bien entendu, aussi, un fondement théologique…

“Le principe de paternité spirituelle met le prêtre dans une position ambivalente : celle de représentant du Christ, ce qui peut faire grandir ou engendrer des abus” Nathalie Sarthou-Lajus

 

Lequel ?

Le principe de paternité spirituelle est consubstantiel au catholicisme. Le prêtre en tant que représentant du Christ est considéré comme le père spirituel des fidèles. Comme tout lien, cette paternité spirituelle est ambivalente : elle peut faire grandir, ou bien engendrer des abus et fabriquer les pires formes de dépendance lorsqu’elle est déviée. C’est aussi vrai dans d’autres institutions quand un homme assume une fonction de « père spirituel » ou de « maître ». Au départ, la paternité spirituelle est conçue comme une libération à l’égard des paternités trop humaines, celle qui permet de « naître d’en haut » et de s’émanciper du clan familial : « Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maître, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ », dit Jésus à ses disciples (Évangile selon Matthieu, chapitre 23). C’est un avertissement contre les déviances de la médiation humaine dans l’exercice de l’autorité. Mais on trouve aussi, chez saint Paul, des textes qui légitiment l’importance de la médiation du prêtre comme père spirituel. Quand une foi est arrivée à maturité, elle permet de faire la part de ce qui, dans cette paternité, est symbolique et réel. Nous apprenons à distinguer ces différents ordres. Mais cette distinction est très difficile pour l’enfant, qui appelle le prêtre « père » et recherche auprès de lui toute la tendresse qu’il peut attendre d’un père. Cette ambiguïté a pu être instrumentalisée par certains prêtres pour commettre des abus. Le cadre à part de la prêtrise a en tout cas pu attirer certains individus pervers, et entretenir ainsi ce que le pape François a qualifié, par des mots très forts, de « culture de mort » : une culture qui détruit les sujets au lieu de les construire, en profitant de leur vulnérabilité.

 

Les prêtres prédateurs ne sont-ils pas, eux aussi, profondément immatures ? 

C’est flagrant dans le film Spotlight (Tom McCarthy, 2015). L’un des prêtres pédophiles apparaît d’une terrible immaturité. Immaturité autant affective que sexuelle, à mon sens. Ces prêtres sont incapables de prendre en charge l’ambivalence fondamentale des liens qu’ils entretiennent avec leurs fidèles. Ils sont, en raison de ce déni, victimes de leur propre idéalisation, de leur propre quête qui est, au départ, une quête d’absolu. L’absolu est dangereux dès lors qu’il occulte l’ambiguïté, qu’il n’est pas interrogé, questionné, discuté. C’est sans doute ce qui manque, en partie, dans la formation des prêtres aujourd’hui où les sciences humaines ne sont pas suffisamment considérées. La crise des vocations n’arrange rien, bien entendu. La solitude des prêtres aggrave aussi ce problème de l’immaturité affective, je pense – qui frappe moins les religieux qui vivent dans des communautés de frères ou de sœurs. Les prêtres sont de moins en moins épaulés par une communauté de laïcs. La solitude crée une profonde fragilité.

“Un célibat imposé par l’institution renforce certainement la solitude et l’immaturité affectives” Nathalie Sarthou-Lajus

 

Le célibat et le vœu de chasteté ne font pas partie du problème, de votre point de vue ?

Je ne pense pas que le célibat ou le vœu de chasteté débouchent nécessairement sur des frustrations sexuelles, ni même que la frustration crée nécessairement des comportements pervers. Le célibat, quand il rime avec l’isolement, a peut-être plus de rapport – même si dans bien des cas de pédocriminalité hors de l’Église, les coupables sont des hommes mariés et intégrés dans la sociabilité. Le problème, en ce qui concerne les prêtres, c’est que ce célibat est imposé par l’institution, ce qui renforce certainement la solitude affective. Le célibat prend une tout autre dimension chez les religieux qui l’ont choisi et le vivent au sein d’une communauté dans un cadre fraternel orienté par le service des autres.

“La raison religieuse a besoin de la raison publique. Toute Église a besoin de se décentrer” Nathalie Sarthou-Lajus

 

Comment l’Église peut-elle surmonter cette crise ?

L’Église doit commencer par prendre conscience de l’urgence de la réforme ! Elle devra aussi, je pense, être accompagnée de l’extérieur – par des historiens, des sociologues, des philosophes, des psychanalystes, etc. La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église est, de ce point de vue, une très bonne étape. Ce n’était pas gagné ! La raison religieuse a besoin de la raison publique. Les théologiens doivent évidemment porter cette réforme, mais ils doivent écouter d’autres voix afin de sortir de l’entre-soi délétère, de la privatisation des convictions religieuses. L’Église – toute Église – a besoin de se décentrer. Le repli sur soi a toujours des conséquences catastrophiques : l’absence de débat, de discussion, de confrontation, provoque un appauvrissement intellectuel des religions. La tentation, alors, c’est d’aller vers toujours plus de radicalisation – au risque de devenir une secte. C’est tout le contraire de ce qu’il faut faire aujourd’hui. La crise actuelle est aussi l’occasion de réfléchir sur les manières de faire Église autrement. En donnant, en particulier, la parole aux laïcs, qui ont déjà commencé à s’exprimer sur les réseaux sociaux avec le hashtag #AussiMonEglise. Les fidèles sont aussi l’Église, et il est nécessaire qu’ils prennent part à la réflexion sur le nouveau visage de celle-ci. 

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