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Laurence Devillairs en mai 2019. © Hannah Assouline/Opale via Leemage

Tribune

Laurence Devillairs : “Il faut inventer une justice du témoignage”

Laurence Devillairs publié le 28 octobre 2021 3 min

Indignée par les révélations du rapport Sauvé sur les crimes et délits sexuels sur mineurs dans l’Église catholique, la philosophe chrétienne Laurence Devillairs plaide pour une refondation de la justice, qui prenne en compte les témoignages des personnes plus que la parole des institutions.

 

« Sans témoignage, pas de justice. Ce que montre le rapport Sauvé, c’est que seule la parole des victimes a permis de rendre publique l’infamie, de rompre un silence érigé en loi et une impunité transformée en système. Sans doute est-ce la vocation d’une république de précisément rendre publique, de faire d’un crime l’affaire de tous. Et non de l’étouffer dans un entre-soi, aux jugements opaques, pris au détriment du droit – celui des hommes, des salariés, des enfants ou des religieuses. Car beaucoup en effet – laïcs comme clercs – savaient, beaucoup plus encore couvraient, par une docilité facile ou une lâcheté tranquille. Les témoignages ont ainsi opposé le courage de la vérité à la banalité de l’impunité. Et c’est ce qu’il semble important de souligner : ce sont ces témoignages seuls qui ont engagé, il faut l’espérer, une œuvre de réparation et d’indemnisation.

Faut-il alors opposer la justice des juges à celle des témoins ? La loi des tribunaux à celle des victimes ? Sans comparer les souffrances, ce qui serait indécent, les mouvements de #Balancetonporc et de #MeToo ont, avant le rapport Sauvé, donné à entendre ce qui était tu. D’abord parce qu’être porté par le témoignage des autres permet soi-même de parler, en remettant la honte à sa place, c’est-à-dire du côté des harceleurs et des violeurs. Ensuite, parce que le témoignage de plusieurs autorise à dépasser l’idée que mon cas est un cas isolé. Témoigner crée une communauté, ce que le philosophe tchèque Jan Patočka (1907-1977) nomme la “société des ébranlés”, de ceux qui ont connu le mal sans pouvoir le dénoncer, sans connaître ni secours ni recours. La justice est lente, mais la peine n’attend pas. Et ne pas pouvoir parler fait souffrir de la souffrance.

De même qu’en politique, l’on donne sa voix par le suffrage universel, de même peut-on faire entendre sa voix, dans une république, au moyen d’un droit universel à témoigner. Ce n’est ni diffamation ni chasse aux sorcières ; c’est la réponse aux silences des institutions. Auparavant, une institution valait par elle-même. Ses membres avaient l’autorité qu’elle leur conférait. De nos jours, les choses ont changé : c’est la valeur de ses membres qui fonde celle de l’institution. Un clerc – évêque, prêtre, enseignant au sein d’un établissement catholique –, n’est pas respectable du fait même d’appartenir à l’Église, mais c’est uniquement s’il est respectable que l’Église l’est aussi.

D’un fonctionnement oligarchique, les institutions sont en passe de connaître le principe démocratique de l’égalité et donc de la reddition de comptes. Le recours aux témoignages est le signe d’une démocratisation de la justice, qui ne descendrait plus des juges aux justiciables, mais qui partirait des justiciables dans une adresse aux juges. Une justice par le “bas” et non par le “haut”, celle des témoins, saisissant les tribunaux avant qu’ils ne se saisissent de leurs cas. Un procès avant la procédure. S’il faut parler de démocratie directe, sans doute se trouve-t-elle dans cette demande de proximité entre victimes et justice.

Arendt parlait d’une crise de l’autorité dans le monde moderne, sa disparition entraînant celle d’un passé partagé (La Crise de la culture, 1961). Il s’agirait peut-être davantage d’une transformation de l’autorité : sa légitimité ne viendrait plus d’elle-même mais de l’exemplarité de ceux qui l’incarnent, de leur probité et loyauté. On dira que cette justice directe, née des témoins, est liée à la méconnaissance par les Français de leur système judiciaire. C’est là un argument de surface. Ce que dit cette justice démocratisée, c’est qu’être victime exige d’être reconnu comme tel, pour ensuite redevenir ce que l’on est : un homme ou une femme debout, et libre car “la liberté ne consiste pas dans la possibilité de choisir entre le bien et le mal” mais “dans la force de ne pas admettre le mal dans le monde” (Léon Chestov, Athènes et Jérusalem). »

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