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Vie quotidienne

L’essor de la seconde main : la belle âme des vêtements usés

Clara Degiovanni publié le 04 mars 2021 4 min

L’industrie du neuf n’est plus à la mode. C’est en tout cas ce que prévoit le site de vente d’occasion américain Thred up : en 2028, le marché de la seconde main devrait être plus lourd que celui de la « fast fashion ». Bonne nouvelle pour la planète. Le secteur du textile, qui dégage à lui seul 1,2 milliards de tonnes de gaz à effet de serre par an, est l’une des industries les plus polluantes du monde. Si les motivations environnementales sont déterminantes pour les adeptes de la fripe déjà portée, on peut interroger la valeur intrinsèque des objets d’occasion. Un habit qui a vécu n’a-t-il pas quelque chose en plus que ce jean neuf et reproductible à l’infini ? Outre son intérêt éthique, le marché de l’occasion n’est-il pas en train d’inaugurer un nouveau rapport à l’objet ? Réponse avec Heidegger, pour qui l’usure est « le mode d’être des choses ». Loin d’être le signe qu’il faut jeter l’objet à la poubelle, elle est la raison d’être du produit. Ne faut-il donc pas cesser de faire rimer usage et gaspillage ?

 

Un marché en plein essor 

En quinze ans, le marché de l’occasion a explosé. Le site Vinted, champion de la seconde main en France, est dans le top 5 des sites d’e-commerce les plus consultés. Sur internet, mais aussi dans les magasins avec les Emmaüs et les friperies comme Guerrisol ou Kiloshop, la vente de nippes déjà portées est partout. On n’achète plus, on « chine » : on farfouille dans les « bacs à 1 euro » pour dénicher la « perle rare ».

Le prêt-à-porter, si commun désormais, s’efface devant l’attrait vintage du « déjà porté ». Outre l’aspect ludique et l’intérêt économique de cette manière de consommer, certains témoignent d’une véritable passion pour l’objet d’occasion en lui-même. C’est le cas par exemple de youtubeuses spécialisées comme Marjorie le Noan, qui distingue le vintage (les objets issus du passé), du rétro (les objets produits de nos jours qui imitent le passé). Porter un habit vintage, c’est faire revivre un style, non chercher à le (re)produire.

Repenser l’usure 

Mais la seconde main n’a pas que des adeptes. Certains peuvent, entre autres raisons tenant aux différentes caractéristiques d’un produit déjà éprouvé par le port et le temps, être rebutés par l’idée qu’un autre corps se soit glissé dans cet habit, que d’autres pieds aient chaussé ces souliers. L’usure, aussi ténue soit-elle, peut dégoûter ou empêcher l’appropriation du produit. Ce qui a appartenu à un autre ne peut devenir nôtre. L’usure est alors perçue comme une souillure.

Mais le philosophe Martin Heidegger permet de donner un sens nouveau à l’usure, plus positif. L’usure donne à voir la raison même de l’existence du produit : « son utilité ». « Le processus d’usage » fait donc venir le produit « à notre rencontre », explique le penseur allemand dans Les Chemins qui ne mènent nulle part (1962, Gallimard, 1986, pour la traduction française) Dès lors, les traces d’usures ne sont pas des marques à effacer, mais les preuves d’une rencontre entre l’objet et son usager.

Le neuf n’a pas d’âme  

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, un habit neuf a donc moins de consistance, moins d’existence qu’un habit d’occasion, aussi effiloché soit-il. Car, si l’on suit Heidegger, le produit n’est rien tant qu’il n’a pas servi. Les jeans neufs sont parfois vendus délavés ou troués. En imitant l’occasion, la « fast fashion » veut donner un supplément d’âme au textile lisse et rigide qui n’a pas encore été usé par un corps vivant, en mouvement.

Reproductible à l’infini, vendu dans le monde entier, un produit neuf n’a pas de lieu. À l’inverse de la vieille paire de souliers peinte par Van Gogh, analysée par Heidegger, qui « appartient à la terre » et demeure « à l’abri dans le monde de la paysanne ». Alors que le produit d’occasion est du côté du personnel, du subjectif, du vécu… le produit neuf est, par définition, impersonnel.

La solidité de la seconde main 

Mais l’ultime force de l’objet de seconde main réside dans sa « solidité » (« Verlässlichkeit ») qui révèle, selon Heidegger, le secret même du produit : « sa plénitude ». La solidité est une manière de relier les humains au monde. La paysanne qui porte ses solides chaussures est « confiée par ce produit à l’appel silencieux de la terre […], soudée à son monde. » La robustesse de cet objet la stabilise.

Et pour cause, selon Heidegger, « c’est seulement la solidité du produit qui donne à ce monde si simple une stabilité bien à lui. » L’objet « de seconde main » qui, passant de main en main, s’use et résiste au passage du temps, nous rassure. La solidité du déjà porté… permet de lutter contre la fragilité du prêt-à-jeter. 

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