Les 100 essais qui vont faire la rentrée

1/Philosophies de l’existence

Penser le mal : la vocation de la philosophie

Sans se traduire littéralement dans les essais de la rentrée, les dangers et cataclysmes d’un été fiévreux – de la canicule à la sécheresse, de l’attaque au couteau contre Salman Rushdie aux combats en Ukraine, des tensions avec la Chine au retour de l’inflation… – résonnent tous en creux dans le paysage de la pensée. Comme si la question du mal sous toutes ses formes, dont la philosophe Susan Neiman élabore une magistrale archéologie dans son livre Penser le mal. Une autre histoire de la philosophie (Premier Parallèle), invitait de nombreux penseurs contemporains à analyser ses visages et ses effets au cœur de notre actualité. Puisque, comme l’écrit Susan Neiman, « le problème du mal est la force directrice de la pensée moderne », ainsi qu’un principe directeur essentiel pour comprendre l’histoire de la philosophie, l’on devine combien celle-ci peut encore être un « abri accueillant » pour faire face à tous les périls qui saturent notre présent. Racine à partir de laquelle la philosophie moderne a poussé, le problème du mal traverse de nombreux livres de la rentrée, centrés sur des questions de diverses natures – éthique, métaphysique, politique, intime, économique, écologique, féministe… –, reliées entre elles par un fil ténu mais solide : sonder les ressources qui, parfois en nous-mêmes, pourront nous extraire des crises qui plombent nos existences.

Posant des questions universellement partagées, la philosophie s’impose en cette rentrée comme une ressource stimulante pour penser le présent, y compris en revisitant son histoire. L’essai de Wolfram Eilenberger, Les Visionnaires (Alisio), rappelle ainsi l’apport décisif de quatre icônes de la pensée politique du XX^e siècle, Simone de Beauvoir, Simone Weil, Ayn Rand et Hannah Arendt, qui par leurs parcours montrent, jusqu’à son accomplissement, ce que signifie de mener une vie véritablement libre. Nous sommes encore les héritiers de leurs idées sur la relation entre l’individu et la société, l’homme et la femme, le sexe et le genre, la liberté et le totalitarisme, Dieu et l’homme.

L’héritage fécond de la pensée philosophique se retrouve aussi dans l’œuvre de Paul Ricoeur, dont Corine Pelluchon rappelle dans Paul Ricœur, philosophe de la reconstruction (PUF) tout ce que la pensée contemporaine lui doit. Un geste de reconnaissance et de relecture d’œuvres du passé que déploient d’autres penseurs comme Carlo Ginzburg dans Néanmoins. Machiavel, Pascal (Verdier), Arnaud Villani dans L’Énigme de la philosophie grecque (Encre marine), Charles Senard dans Carpe diem. Petite initiation à la sagesse épicurienne (Les Belles Lettres) ou Olivier Boulnois dans Le Désir de vérité (PUF)… L’histoire de la philosophie se déclinera aussi en bande dessinée, grâce à l’adaptation par Vincent Zabus et Nicoby du best-seller de Jostein Gaarder, Le Monde de Sophie (Albin Michel), livre grâce auquel des millions de lecteurs ont découvert les grandes figures de la philosophie occidentale.

Les questions éthiques renouvelées

Au-delà de cette histoire active et toujours relancée de l’histoire de la philosophie, beaucoup d’auteurs creusent des questions éthiques aussi éternelles que recomposées par l’air du temps et par les mouvements de la pensée contemporaine. Dans un solide et original exercice de pensée, Se vouloir du bien et se faire du mal. Philosophie de la dispute (Flammarion), Maxime Rovere creuse le mystère des disputes et dévoile, en détaillant toutes leurs strates et leurs angles morts, les enjeux de ce qui nous pousse tous, quelles que soient notre écoute et notre bienveillance, sur la scène du conflit et des interactions tendues.

Dans Apologie de la discrétion (Odile Jacob), Lionel Naccache se demande, lui, comment le cerveau construit notre conscience et notre perception du temps. Partant du concept mathématique de discrétion, par opposition au continu, le neurologue pétri de philosophie tente de théoriser la conscience et l’être au monde, pour proposer une éthique de la responsabilité contemporaine. Jean Birbaum vante dans Cet enfant qui me porte (Seuil) les vertus de la petite enfance. S’éloignant du dur de la tradition classique, Géraldine Mosna-Savoye se propose, de son côté, dans La Force du mou (Éditions de L’Observatoire), de réhabiliter la notion de molesse (le coup de mou, la mollesse du laxisme, l’informe…), comme Philippe Garnier, avant elle, avait fait l’éloge de la tiédeur. Une autre forme de la pensée éthique, prenant à rebours les catégories admises.

Autre iconoclaste du moment, Laurent De Sutter se propose dans Éloge du danger (PUF) de se méfier de la peur du danger, qui n’est que l’écho de la crainte de pouvoirs institués obsédés par la sécurité. Dans La Valeur des personnes, preuves et épreuves de la grandeur (Gallimard), la sociologue Nathalie Heinich se demande comment on attribue de la valeur aux personnes, que ce soit à travers des épreuves d’évaluation, des preuves de qualité ou l’épreuve de la grandeur qui fabrique des hiérarchies.