L’enseignement de la philosophie à l’épreuve du relativisme des élèves

« Le relativisme des élèves a été l’un des obstacles les plus importants auxquels j’ai dû faire face lors de ma première année d’enseignement. J’y ai été confronté dès le tout premier cours de philosophie que j’ai donné et qui portait sur la question : “Y a-t-il des vérités indiscutables ?” D’emblée, les élèves ont fait des réponses qui ressemblaient de prime abord à l’argument classique du relativisme que l’on peut résumer ainsi : “À chacun sa vérité”. 

Au départ, j’ai naturellement considéré cette position comme un relativisme philosophique, souvent résumé par cette formule célèbre : “L’homme est la mesure de toute chose”, attribuée à Protagoras. Par là, il faut comprendre que lorsque tel individu perçoit les choses d’une certaine manière, alors elles sont effectivement ainsi. Je perçois le stylo devant moi comme bleu, donc le stylo est bleu. Chacun est la mesure de la vérité, qui est donc relative à chacun. Dans le Protagoras, Socrate réfute cette option en montrant que si ma vérité c’est qu’“il y a une vérité unique”, alors le relativiste, qui pense “chacun a sa vérité”, doit reconnaître cette vérité comme vraie… Même s’il défend le contraire ! Cette réfutation classique était l’option naturelle pour le jeune professeur que je suis, d’autant plus que j’avais travaillé sur Platon toute l’année pour mon année de préparation à l’agrégation.

“Le relativisme est une sorte de réflexe de protection, dès que surgit un sujet un peu compliqué”

Pourtant, cette réponse philosophique n’a pas donné grand-chose car en dehors de cette position relativiste, les élèves se retrouvaient complètement démunis. Si par exemple, je leur posais la question “Qu’est-ce que le beau ?” et qu’ils ne pouvaient plus répondre “Le beau dépend de chacun”, parce qu’on avait étudié les failles du relativisme, ils ne savaient plus quoi dire. J’ai donc compris que ce relativisme, très loin de la doctrine constituée de Protagoras, était ce qui venait masquer un vide, l’absence de connaissance des arguments et des thèses possibles face à une question donnée. C’est pour cette raison que la carte magique “à chacun sa vérité” surgissait à des moments un peu plus compliqués de la dissertation, comme à la troisième partie et même parfois dès l’introduction. Le relativisme est en ce sens une sorte de réflexe de protection.