Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© Éditions de l’Observatoire

Le livre du jour

"Le Voyant d'Étampes" : l’antiracisme d’hier est-il le racisme d’aujourd’hui ?

Alexandre Lacroix publié le 20 octobre 2021 5 min

Telle est la question qu’explore avec maestria Le Voyant d’Étampes (Éditions de L’Observatoire), un roman d’Abel Quentin qui est l’une des bonnes surprises de cet automne littéraire. 

Ce roman raconte la descente aux enfers d’un certain Jean Roscoff, universitaire divorcé et alcoolique, ayant milité dans les années 1980 pour SOS Racisme. À peine retraité, Roscoff essaie de trouver un nouveau souffle en écrivant un livre d’hommage à un poète américain méconnu, un certain Robert Willow, ami imaginaire des existentialistes qui finit ses jours retranché à Étampes. Sauf que, dans son essai, Roscoff oublie de relever le fait que Willow est noir, afro-américain, il le déracise. Cette faute va lui valoir une descente aux enfers avec harcèlement et injures, Roscoff devenant du jour au lendemain l’ennemi public n° 1 des « woke » et des militants des luttes intersectionnelles, puisqu’il a nié la question de la race, tandis que les proches du Rassemblement national récupèrent la polémique et lui tressent des éloges…

Truculent, le roman d’Abel Quentin n’est pas un simple pamphlet contre le politiquement correct, mais une sombre méditation éthique traversée par une citation éclairante d’Albert Camus.

 

Vers un monde de silhouettes

Roman de 378 pages parfaitement construit, avec un retournement de situation magistral dans le dernier chapitre qui amène à reconsidérer tout ce qui précède, Le Voyant d’Étampes d’Abel Quentin propose une galerie de personnages et de scènes bien campées, avec trois piliers ou points forts :

  • Comme dans beaucoup de romans de tendance plutôt réactionnaire, le héros et narrateur est un « mécontemporain », un alcoolique revenu de toutes les illusions, qui n’a plus rien à perdre et qui ne comprend plus son époque – laquelle le lui rend bien. Ce personnage ressemble au protagoniste de Sérotonine (2019) de Michel Houellebecq, ou encore à celui de Mammifères (2003) de Pierre Mérot, et il est possible que, dans la tradition française, son inventeur soit Louis-Ferdinand Céline, celui des Entretiens avec le professeur Y. (1955) ou D’un château l’autre (1957) – l’alcoolisme en moins, cependant. C’est l’antihéros ou encore l’inverse du jeune premier, le mauvais dernier. Du fond de sa détresse et de son échec, un tel personnage possède un regard libre, et c’est ce qui crée une connivence avec le lecteur, jointe au plaisir de partager ses joies méchantes et ses sarcasmes. Ainsi, dans plusieurs situations où Jean Roscoff devrait faire bonne figure, par exemple quand sa fille Léonie lui présente sa nouvelle petite amie, il tombe dans une lamentable soulographie qui le rend à la fois pathétique et drôle – car on rit beaucoup avec Le Voyant d’Étampes, à cause de l’irresponsabilité de Roscoff. L’originalité de ce texte est qu’à l’inverse des Houellebecq, Mérot ou Céline, qui semblent fusionner avec leurs narrateurs, Abel Quentin est un jeune avocat brillant de 36 ans marié à la jeune et talentueuse romancière Claire Berest, donc son personnage ressemble à une création fictionnelle pure !
  • Ce qui fait cependant que Le Voyant d’Étampes n’est pas une simple démonstration ni un roman à thèses, c’est que l’incompréhension complète entre Jean Roscoff et les tenants de la cancel culture qui vont le persécuter à la fois sur les réseaux sociaux et dans la vie réelle est présentée comme un fait sociologique et historique, moralement neutre, c’est-à-dire comme une fatalité. Les deux générations d’antiracistes, celle d’Harlem Désir et celle de la pensée décoloniale, ne peuvent pas se comprendre et sont vouées à se détester. Du côté de Roscoff, les vieux antiracistes nostalgiques de SOS Racisme détestent le concept de « race » et évoluent dans un univers de représentations où la couleur de peau ne compte pas ou tout au moins ne devrait pas compter. Ils sont profondément universalistes et cosmopolites. Pour eux, tous les êtres humains sont à placer sur un pied d’égalité. Et c’est pourquoi Roscoff, quand il pense au poète américain Robert Willow, qu’il en fait l’éloge, qu’il voyage sur ses traces, ne s’intéresse pas au fait qu’il s’agit d’un Noir. Même si Willow a vécu entre l’époque de Frantz Fanon et celle des luttes pour les droits civiques aux États-Unis, son identité afro-américaine est pour son exégète un non-événement, Willow est d’abord poète. « Quel crime avais-je commis ? Même en tenant pour acquis l’ensemble des prolégomènes de l’antiracisme moderne, quel putain de crime avais-je commis qui justifie que je sois sacrifié ? Précisément, j’avais posé un regard non racisant sur mon sujet, Robert Willow. Je l’avais déracisé. Je n’avais vu, je n’avais voulu voir que le poète frère, mon frère mélancolique. Je n’avais pas vu le Noir. » Or, pour les émules de Pierre Bourdieu ou de la génération des woke, le simple fait de croire en l’universel est précisément un privilège blanc, seul le mâle hétérosexuel blanc peut s’offrir le luxe de croire que la couleur de peau n’existe pas, jamais le descendant des esclaves ou des colonisés qui a été racisé et discriminé. L’amour proclamé de Roscoff pour la poésie – cet art bourgeois par excellence – ne fait qu’aggraver son cas. 
  • Vers la fin, Abel Quentin cite un discours d’Albert Camus qui fut lu le 13 décembre 1948 à la salle Pleyel, à Paris. Dans ce texte, Camus explique qu’« il n’y a pas de vie sans dialogue », mais aussi qu’il craint que nous soyons entrés désormais dans le siècle de la violence idéologique, c’est-à-dire « le siècle de la polémique et de l’insulte ». L’argument central est formulé ainsi : « Quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, ni s’il lui arrive de sourire et de quelle manière. Devenus aux trois quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous ne vivons plus parmi des hommes, mais dans un monde de silhouettes. » Tel serait, en fait, le cauchemar ou la dystopie vers laquelle nous emmène la politique identitaire et le communautarisme : je n’accorde le statut plein et entier d’être humain qu’à ceux qui partagent la même identité que moi, qui sont de ma communauté ; et les autres ne sont plus que des silhouettes, leur humanité s’efface à mes yeux. Ainsi, la ferveur idéologique nous amènerait à vivre dans un monde appauvri, un monde de silhouettes.

Pour conclure, la réception critique du Voyant d’Étampes a presque valeur d’un test grandeur nature et invalide un peu le constat alarmiste de l’auteur : comme la critique semble unanime à juger que c’est un très bon roman, comme Abel Quentin n’est pas victime d’un shitstorm, on a envie d’en conclure – et c’est plutôt rassurant – que nous ne vivons pas dans la société à couteaux tirés qu’il dépeint, celle des « experts en shaming, trollers et lanceurs de raids » qui sont « les rejetons criards du Spectacle, qui courent d’une proie à l’autre comme des poulets sans tête ». Est-ce à dire que nous n’y sommes… pas encore ?

 

Le Voyant d’Étampes, d’Abel Quentin, est paru aux Éditions de L’Observatoire (378 p., 20 € en version imprimée, 14,99 € en version dématérialisée). Il est disponible sur le site de l’éditeur, ainsi que chez votre libraire.

Le privilège blanc dans le métro
Expresso : les parcours interactifs
Aimer sa moitié avec le Banquet
On dit parfois que la personne aimée est « notre moitié », celui ou celle qui nous complète. L'expression pourrait trouver son origine dans le mythe des androgynes, raconté dans le Banquet de Platon ! Découvrez ce récit fascinant.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
12 min
Le “wokisme” est-il un humanisme ? Débat entre Norman Ajari et Pierre Valentin
Charles Perragin 23 février 2022

La « déconstruction » est une notion philosophique qui fait l’objet de vifs débats, à la fois dans le monde universitaire et militant,…

Le “wokisme” est-il un humanisme ? Débat entre Norman Ajari et Pierre Valentin

Article
18 min
Kwame Anthony Appiah : “L’antiracisme, ce n’est pas faire comme si les races n’existaient pas”
Agnès Botz 24 juin 2020

Alors que la vague d’indignation provoquée par la mort de George Floyd aux États-Unis crée un débat sans précédent sur la persistance du racisme,…

Kwame Anthony Appiah : “L’antiracisme, ce n’est pas faire comme si les races n’existaient pas”

Article
6 min
Qu’est-ce que la “déconstruction” ?
Octave Larmagnac-Matheron 23 février 2022

Associée à la pensée désormais appelée « woke » et à la cancel culture, la « déconstruction » initiée par Jacques Derrida …

Qu’est-ce que la “déconstruction” ?

Article
9 min
Laure Murat : “La ‘cancel culture’ ne vise pas à effacer des personnes, mais à changer de paradigme”
Ariane Nicolas 25 janvier 2022

Peut-on critiquer les prises de positions de J. K. Rowling sur les femmes trans, s’opposer à ce que les films de Roman Polanski…

Laure Murat : “La ‘cancel culture’ ne vise pas à effacer des personnes, mais à changer de paradigme”

Article
7 min
Vénus Noire. Aux sources du racisme
Philippe Nassif 27 août 2012

Quand la science et le spectacle s’allient pour donner naissance au racisme. L’incroyable destin de Saartjie Baartman, Sud-Africaine exhibée en Europe au XIXe siècle pour son postérieur monumental, a été mis en scène par Abdellatif…


Article
44 min
Essai sur la politique des statues à l’âge de la “cancel culture”, par Pierre Vesperini
Pierre Vesperini 17 novembre 2021

À l’unanimité, la statue de Thomas Jefferson, l’un des Pères fondateurs des États-Unis, a été retirée du conseil municipal de New York. Pierre…

Essai sur la politique des statues à l’âge de la “cancel culture”, par Pierre Vesperini

Article
5 min
Frédéric Worms : “L’image seule plus les réseaux sociaux, cela peut donner lieu à la guerre civile”
Michel Eltchaninoff 21 octobre 2020

Autant que le terrorisme islamiste, c’est la caisse de résonance que fournissent Internet et les réseaux sociaux à tous les discours extrémistes…

Frédéric Worms : “L’image seule plus les réseaux sociaux, cela peut donner lieu à la guerre civile”

Article
6 min
Chris Bail : "Les réseaux sociaux polarisent l’attention sur les fractions plus extrêmes de la société et invisibilisent la majorité modérée"
Jana Glaese 21 mai 2021

Sur Twitter ou sur Facebook, le débat en ligne a rarement été aussi polarisé. La faute aux réseaux sociaux qui encouragent l'entre-soi ? En…

Chris Bail : "Les réseaux sociaux polarisent l’attention sur les fractions plus extrêmes de la société et invisibilisent la majorité modérée"

À Lire aussi
Barbara Cassin : “Il ne faudrait pas que parler français devienne l’apanage du Rassemblement national”
Barbara Cassin : “Il ne faudrait pas que parler français devienne l’apanage du Rassemblement national”
Par Océane Gustave
mai 2021
Gérard Noiriel : “Pour redevenir hégémonique, la gauche doit proposer un récit alternatif”
Gérard Noiriel : “Pour redevenir hégémonique, la gauche doit proposer un récit alternatif”
Par Martin Legros
février 2022
Yves Citton : “Quoi que dise Trump, son contradicteur est piégé”
Yves Citton : “Quoi que dise Trump, son contradicteur est piégé”
Par Ariane Nicolas
novembre 2020
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. "Le Voyant d'Étampes" : l’antiracisme d’hier est-il le racisme d’aujourd’hui ?
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse