Le nucléaire est-il vraiment une solution à tous nos problèmes ?
Face à l’inéluctable raréfaction des combustibles fossiles dont nous dépendons massivement, nous avons réuni deux ingénieurs pour mener un échange nuancé, parfois technique. Pour Maxence Cordiez, ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et auteur d’Énergies. Fake or not? (Tana, 2022), l’énergie nucléaire doit servir d’amortisseur au sevrage des carburants gaziers et pétroliers, tandis que Philippe Bihouix, centralien auteur de L’Âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable (Seuil, 2014), penche pour une sobriété plus « profonde et systémique ». Au final, ils en conviennent tous les deux, rien ne pourra se faire sans modifier en profondeur nos habitudes de consommation et nos modes de vie. Dialogue.
Entre les promesses de la première campagne du président Macron et l’actuel projet de loi visant cette fois à faciliter la mise en route de futurs réacteurs pressurisés, le gouvernement a fait volte-face sur le nucléaire. Entre les deux, les partis d’opposition pointent l’absence de débat sur la stratégie énergétique. Pourquoi est-il si difficile d’avoir une délibération apaisée sur l’énergie ?
Philippe Bihouix : Par manque de temps mais aussi de culture technique, le discours médiatique et politique est obligé de simplifier les questions énergétiques de façon outrancière. Par exemple, on confond encore souvent l’électricité – sur laquelle la France est pour l’instant un « bon élève climatique » grâce au nucléaire – et l’énergie, qui inclut les carburants automobiles, le gaz et le fioul pour l’industrie et le chauffage, le charbon de la sidérurgie… Par ailleurs, les énergies renouvelables sont souvent associées uniquement au solaire photovoltaïque et à l’éolien, en laissant de côté les autres sources comme la biomasse, la géothermie, l’hydroélectrique… Quant à la complexité technique, on ne peut plus vraiment compter sur l’intermédiation d’experts de moins en moins reconnus. Ainsi, sur le nucléaire, les énergies renouvelables comme la voiture électrique, le débat se polarise fortement. Il faut être pour ou contre et les positions nuancées sont assez peu audibles.
“Par manque de temps mais aussi de culture technique, le discours médiatique et politique est obligé de simplifier les questions énergétiques de façon outrancière”
Maxence Cordiez : Je crois que nous oublions à quel point l’accès à l’énergie a structuré nos sociétés en profondeur. La possibilité de transformer la chaleur en mouvement – avec l’utilisation à grande échelle de la machine à vapeur au XIXe siècle – a été l’acte fondateur de notre modernité, de l’amélioration inédite des conditions de vie à la destruction de l’environnement. Aujourd’hui, si le domaine de l’énergie ne représente que quelques pourcents du produit intérieur brut, toute notre économie en dépend : tout ce que nous produisons, ce que nous importons, la façon dont nous vivons. La valeur intrinsèque de l’énergie réside moins dans sa valeur économique que dans les modes de vie qu’elle permet. Or, nos sociétés comme nos systèmes énergétiques se consolident sur le temps long, si bien que nous n’avons pas vraiment conscience de ce qu’impliquent nos politiques actuelles. Une mauvaise décision sur le plan énergétique engendre rarement des problèmes dans les mois ni même dans les années qui suivent. Par conséquent, les politiciens s’approprient surtout l’énergie comme marqueur politique différenciant : à gauche, vous êtes plutôt anti-nucléaire ; à droite, plutôt anti-éolien.
“Nous oublions à quel point l’accès à l’énergie a structuré nos sociétés en profondeur”
P. B. : Pendant longtemps, je trouve au contraire que la gauche est restée très divisée sur ces questions : les Verts étaient contre le nucléaire mais les communistes et la fédération CGT Mines Énergie pour ! Je crois que nous avons au fond un rapport un peu magique à l’innovation. Comme cela s’est fait pour la téléphonie mobile et l’internet, on se dit qu’on peut déployer un tout nouveau système technologique sur l’ensemble de la planète en une dizaine d’années. Ici, il ne s’agit pas d’ajouter un nouveau dispositif mais de remplacer tout le système énergétique fondé essentiellement sur les énergies fossiles. C’est une autre paire de manches ! Quand on lit par exemple le rapport « Futurs énergétiques 2050 » de RTE publié à l’automne 2021, on prend peur : quel que soit le mix énergétique que l’on va choisir pour pallier la raréfaction des combustibles fossiles et viser la « neutralité » carbone, l’effort industriel sera immense, que ce soit pour les équipements de production eux-mêmes, pour le réseau de transport électrique (car on ne produira pas au même endroit qu’aujourd’hui), pour les dispositifs de stockage : électrolyseurs pour produire de l’hydrogène, stations de batteries électriques, installations de pompage-turbinage, biogaz…
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