Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

La conseillère de Paris et militante LGBTQ+ Alice Coffin en septembre 2020. © JOEL SAGET/AFP

Généalogie

Le choix politique du lesbianisme

Octave Larmagnac-Matheron publié le 09 octobre 2020 5 min

La militante féministe Alice Coffin a été écartée de l’Institut catholique de Paris où elle enseignait depuis huit ans ce jeudi 8 octobre. Récemment élue Europe-Écologie-Les Verts au Conseil de Paris, la journaliste s’est vue reprochée son « militantisme trop visible ». Coffin a fait rapidement part de son incompréhension : « Cet été, j’ai été insultée de toute part, gravement cyberharcelée, mise sous protection policière, mais le seul truc qui m’ait vraiment atteinte, c’est la perte de cet emploi-là. » Difficile d’expliquer exactement pourquoi cette éviction a lieu maintenant. Les engagements de Coffin sont en effet bien connus de la « Catho ». La publication à venir de son prochain ouvrage, Le Génie lesbien (Grasset, 2020) a peut-être pesé dans la balance. L’ouvrage s’annonce comme une charge particulièrement directe contre les hommes et l’hétérosexualité : « Il ne suffit pas de nous entraider, il faut, à notre tour, les éliminer » ; « les lesbiennes sont la plus lourde menace contre le patriarcat, poursuit la militante » ; « nous avons le pouvoir, sans les éliminer physiquement, de priver les hommes de leur oxygène : les yeux et les oreilles du reste du monde. » Au delà de la polémique, le propos de l’ouvrage réactive une question qui tiraille le féminisme depuis plus de quarante ans : les femmes doivent-elles se passer des hommes ? 

Le lesbianisme militant est un thème central de la seconde vague du féminisme qui se développe dans les années 1960 et 1970. Pour résumer, là où les féministes de la première vague se concentraient sur les conquêtes politiques (droit de vote, doit à la contraception, etc.), celles de la seconde vagues s’efforcent de déconstruire la matrice oppressive, patriarcale et hétérosexuelle, qui structure les sociétés. Comment, cependant, échapper à la domination masculine qui s’est insinuée dans tous les domaines de la vie ? En faisant sécession, répondent certaines féministes dites radicales de part et d’autre de l’Atlantique – avec les Women’s Lib américain et son pendant français, le MLF.

 

  • Dès les années 1960, certaines militantes commencent à développer des pratiques de non-mixité et s’interrogent sur la possibilité de concilier la lutte féministe avec une sexualité hétérosexuelle. La non-mixité, qui permet aux femmes de se réunir temporairement entre elles, est-elle suffisante ? Faut-il aller plus loin, vers un séparatisme durable permettant l’établissement d’une société parallèle ? Cette idée se développe, notamment au sein du Leeds Revolutionary Feminist Group. Toutes les femmes du groupe ne pratiquent pas une sexualité lesbienne : certains choisissent le célibat volontaire, d’autres se considèrent comme asexuelles. Leur séparatisme est d’abord défini par la négative : la « lesbienne politique » est « une femme qui ne baise pas d’hommes. » Certaines conservent cependant des relations hétérosexuelles, à conditions que celles-ci n’implique pas de lien d’affection. 
  • La rédaction du SCUM Manifesto (SCUM est l’acronyme anglais de « Société pour l’émasculation des hommes ») par Valerie Solanas en 1967 contribue à la popularisation du féminisme séparatiste. Satirique, l’ouvrage souligne que les femmes doivent apprendre à se passer des hommes, y compris pour des questions reproductives : « Grâce au progrès technique, on peut aujourd'hui reproduire la race humaine sans l’aide des hommes (ou d’ailleurs sans l’aide des femmes) et produire uniquement des femmes ; conserver le mâle n'a même pas la douteuse utilité de permettre la reproduction de l'espèce. Le mâle est un accident biologique ; le gène Y (mâle) n'est qu'un gène X (femelle) incomplet, une série incomplète de chromosomes. » Les hommes ne peuvent rien apporter au mouvement féministe ; au contraire, ils le freinent. Solanas donne voix à une misandrie radicale.
  • Les groupes lesbiens séparatistes se multiplient dans les années 1970. En 1971, la militante américaine de The Feminists Ti-Grace Atkinson prononce la phrase qui devient l’un des slogans du mouvement : « Le féminisme, c'est la théorie ; le lesbianisme, c'est la pratique. » Elle est alors l’une des pionnières de l’idée de « sororité » – qui doit permettre aux femmes, en vivant entre elles, de développer de nouvelles valeurs. L’année suivante, Charlotte Bunch, issue de The Furies Collective, appelle les lesbiennes à ne pas nouer de relations avec les femmes complices du système « hétéronormatif » : « Tant que les femmes bénéficient de l'hétérosexualité, de ses avantages et de sa sécurité, elles sont vouées à trahir leurs sœurs, en particulier leurs sœurs lesbiennes qui n’ont pas reçu ces privilèges. » Le mouvement français des Gouines rouges est sur la même ligne : « Toutes les femmes doivent devenir lesbiennes, c’est-à-dire : solidaires, résistantes, non collaboratrices. »
  • Le début des années 1980 est marqué par deux ouvrages qui dessinent les contours théoriques du séparatisme lesbien. En 1980, Adrienne Rich fait paraitre Compulsory heterosexuality and lesbian existence. Elle y souligne l’existence d’un « continuum lesbien » : en dépit de l’injonction à l’hétérosexualité, les femmes ont toujours réussi à tisser entre elle des liens d’intimité, de sensualité et d’affection. Pas nécessairement des relations sexuelles. L’année suivante, l’une des membres du Leeds Revolutionary Feminist Group, Sheila Jeffreys, publie Love Your Enemy? The Debate Between Heterosexual Feminism and Political Lesbianism. Elle y présente l’hétérosexualité comme une forme de complicité avec l’oppresseur et encourage les femmes à se débarrasser des hommes « dans les lits et dans les têtes ». À ses yeux, « l’hétérosexualité est une institution de domination masculine, pas une libre expression de préférences personnelles. […] Considérer que le personnel est politique signifie qu’il est impossible de séparer la sexualité du politique, comme si celle-ci était un espace apolitique ».
  • Le séparatisme lesbien perd cependant rapidement de l’écho. Le courant est particulièrement critiqué au sein de la communauté LGBT+, qui s’efforce de lutter contre l’idée que l’homosexualité est un choix. La publication, en 1992, de La Pensée straight ,de Monique Wittig, déjà autrice du Corps lesbien en 1973, peut-être considéré comme le dernier écho – puissant – du courant séparatiste au sein de la seconde vague du féminisme. « Les lesbiennes ne sont pas des femmes », écrit-elle : la femme est une catégorie fondamentalement patriarcale ; elle « n’a de sens que dans les systèmes de pensée et les systèmes économiques hétérosexuels ». Échapper à ce système de domination binaire implique de reconnaître que « la catégorie de sexe est une catégorie totalitaire ». Et d’imaginer, dans son poème épique Les Guerillères (1969) une communauté utopique de femmes combattantes qui modernise l’image des Amazones.

 

Longtemps tombé en disgrâce, l’idée d’un lesbianisme politique revient ces dernières années sur le devant de la scène. Le succès de l’ouvrage récent de Pauline Harmange, Monstrograph, où la jeune femme affirme son droit à « détester les hommes » et rêver de l’installation de véritables « sonorités émancipatrices » en est sans doute le meilleur exemple. Et le licenciement d’Alice Coffin – parfois accusée de défendre une vision séparatiste –, le meilleur signe des résistances d’une société toujours très hétéronormée. L’utopie d’une communauté exclusive créée par les femmes pour les femmes semble cependant faire son chemin. Les derniers mots à l’inventrice, il y a six siècles, de la première utopie féministe, Christine de Pisan qui écrivait dans La Cité des dames : « Souvenez-vous, chères amies, comment ces hommes vous accusent de fragilité, de légèreté et d’inconstance, ce qui ne les empêche point de déployer les ruses les plus sophistiquées et de s’évertuer par mille manières à vous séduire et à vous prendre, comme autant de bêtes dans leurs filets ! »

Qui était Monique Wittig, figure centrale du lesbianisme politique ?
Expresso : les parcours interactifs
Popper et la science
Avec Popper, apprenez à distinguer théorie scientifique et pseudo-sciences, pour mieux débusquer les charlatans et (enfin) clouer le bec à ce beau-frère complotiste !
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
2 min
Monique Wittig. “Les lesbiennes ne sont pas des femmes”
Octave Larmagnac-Matheron 09 octobre 2020

Figure majeure du Mouvement de libération des femmes, pionnière des études de genre, Monique Wittig fit du lesbianisme un choix politique, afin de…

Monique Wittig. “Les lesbiennes ne sont pas des femmes”

Article
4 min
Pourquoi l’homosexualité pose-t-elle problème à l’Église ?
Octave Larmagnac-Matheron 31 mai 2021

L’Église catholique a un problème avec l’homosexualité, difficile de ne pas le reconnaître. Encore récemment, une note de la Congrégation pour la…

Pourquoi l’homosexualité pose-t-elle problème à l’Église ?

Article
4 min
Le “mauvais sexe” : fatalité ou violence ?
Joséphine Robert 10 février 2022

Selon Katherine Angel, nos désirs résident dans l’ignorance. Alors comment peut-on affirmer notre consentement avant et durant un rapport sexuel…

Le “mauvais sexe” : fatalité ou violence ?

Article
5 min
Axelle Jah Njiké : “Je crois en un féminisme qui émancipe de l’intérieur”
Joséphine Robert 02 mai 2022

Axelle Jah Njiké, créatrice du podcast Me, My Sexe and I, prône l’émancipation par l’intime. Journal intime d’une féministe (noire) (Au diable…

Axelle Jah Njiké : “Je crois en un féminisme qui émancipe de l’intérieur”

Article
2 min
Une cour d’appel refuse l’inscription du sexe neutre à l’état-civil
Cédric Enjalbert 23 mars 2016

[Actualisation: la Cour de cassation a refusé, jeudi 4 mai 2017, la mention “sexe neutre” sur l’état civil d’une personne intersexuée] La cour d…

Une cour d’appel refuse l’inscription du sexe neutre à l’état-civil

Article
4 min
Elisabeth Borne Première ministre : les grands corps ont-ils un genre ?
Sonia Feertchak 17 mai 2022

Emmanuel Macron a nommé Élisabeth Borne Première ministre, lundi 16 mai. L’Élysée avait fait courir la rumeur que le choix d’une femme serait…

Elisabeth Borne Première ministre : les grands corps ont-ils un genre ?

Article
7 min
S’habiller pour le travail, un casse-tête genré
Victorine de Oliveira 13 septembre 2022

Aux femmes les couleurs et les motifs, aux hommes les tons sombres... Si le choix de nos vêtements pour nous rendre au travail exprime parfois…

S’habiller pour le travail, un casse-tête genré

Article
7 min
Le spectre du genre
Octave Larmagnac-Matheron 30 décembre 2020

Que signifie être féministe à l’époque du « trouble dans le genre » ? Ne pas faire de la femme un bloc monolithique, mais une…

Le spectre du genre

À Lire aussi
Monique Wittig en quatre citations expliquées
Monique Wittig en quatre citations expliquées
Par Octave Larmagnac-Matheron
janvier 2023
Joanna Nowicki : “L’Europe centrale et orientale ne se voit pas comme une périphérie, mais comme le coeur même de l’Europe”
Joanna Nowicki : “L’Europe centrale et orientale ne se voit pas comme une périphérie, mais comme le coeur même de l’Europe”
Par Pierre Terraz
juillet 2021
Judith Butler. “Homme ou femme, peut-on devenir autre chose?”
Par Suzi Vieira
septembre 2012
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Le choix politique du lesbianisme
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse