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Paris, manifestation contre les violences faites aux femmes, le 20 novembre 2011. Une pancarte avec le slogan “Je te crois”. © Martin Noda/Hans Lucas/AFP

Violences sexuelles

“Je te crois” : petite philosophie du témoignage

Frédéric Manzini publié le 01 décembre 2021 4 min

De l’affaire Weinstein au scandale Nicolas Hulot, en passant par les cas de pédophilie dans l’Église catholique, la vague #MeToo a mis en lumière l’ampleur des violences sexuelles dans nos sociétés. Toutefois, pour se faire entendre, les victimes n’ont souvent que la force de leur témoignage, les preuves matérielles étant dans bien des cas difficiles à produire… Est-ce suffisant ? Peut-on croire de manière inconditionnelle et néanmoins rationnelle ? L’analyse de Frédéric Manzini. 

 

L’impossibilité de produire des preuves et la crainte de ne pas être cru

Chacun le sait, la procédure judiciaire habituelle exige que soient établies des preuves permettant d’attester de la culpabilité des accusés qui restent présumés innocents. Mais dans les cas d’affaires de violences sexuelles, cette exigence de production de preuves se heurte immédiatement à deux difficultés. Premièrement, il est évident qu’un réflexe de survie après une agression peut consister à vouloir se soigner, matériellement comme psychologiquement : effacer les traces de l’événement traumatique, se laver, de manière à « oublier » ce qui s’est passé, et, au moins à court terme, s’efforcer de faire comme si cela n’avait pas eu lieu. 

Deuxièmement, il existe très souvent une différence de statut entre les victimes (plus jeunes, plus précaires, etc.) et celui des coupables qui occupent des positions sociales plus élevées et plus sûres. En conséquence de ces deux raisons, la plupart des victimes répugnent à témoigner de crainte de ne pas être crues, ce qui constitueraient une nouvelle blessure s’ajoutant à la première… Comment sortir de ce douloureux cercle vicieux du silence ?

 

La solidarité des témoignages

Les diverses affaires de scandales sexuels qui ont éclaté ces dernières années apportent une première sorte de réponse, si insuffisante soit-elle : un témoignage en appelle un autre, puis un troisième, et tous ensemble se renforcent et se crédibilisent réciproquement comme un faisceau d’indices convergents qui permet, comme on dit, de « libérer » la parole en même temps que de garantir une meilleure écoute. Dans ce contexte la formule « Je te crois » apparaît non seulement comme une manifestation de soutien et de solidarité mais comme une marque de confiance qui encourage à sortir du silence. 

Dans la langue française en effet, le verbe « croire » peut être entendu de deux manières : au sens de « croire que », il signifie avoir une opinion, émettre un avis qui repose sur une impression superficielle, comme quand on croit qu’il va pleuvoir dès qu’on aperçoit un nuage gris à l’horizon. Mais au sens de « croire en », ce verbe signifie bien davantage, puisqu’il exprime une confiance, voire une foi en quelque chose de la part de quelqu’un qui est prêt à s’engager pour elle : loin d’exprimer un doute, cette forme de croyance fonde une relation solide et durable, qui ne sera pas facilement ébranlée. C’est évidemment en ce deuxième sens qu’il faut entendre la formule « Je te crois » qui signifie que « Moi, je ne mets pas en doute ton témoignage et je t’accorde mon crédit, autrement dit je crois que tu dis la vérité » même si tu n’as pas de preuve à m’apporter.

 

La relation Je-Tu

Il y a donc dans cette formule simple et directe, « Je te crois », l’expression d’une confiance soutenante et libératrice. S’agit-il d’une confiance aveugle ? Oui, dans un premier temps du moins, comme toute confiance qui s’accorde sans attendre d’être méritée, et c’est justement pour cela qu’elle fonctionne. Loin de tout climat de suspicion et de méfiance, elle ne s’encombre pas de l’injonction faite aux victimes de produire la charge de la preuve de ce qu’elles avancent et se situe délibérément à l’écart de toute exigence judiciaire. Mais c’est surtout une confiance qui est réciproque : « Je te crois, moi, je fais confiance à ton témoignage, donc toi aussi, tu peux me faire confiance pour t’aider et te soutenir, donc tu peux te confier à moi. » 

La parole « Je te crois » instaure pleinement ce que le philosophe Martin Buber appelle une véritable relation entre deux êtres. Dans son petit ouvrage Je et Tu (1923), le penseur existentialiste autrichien oppose la relation Je-Cela et la relation Je-Tu. Quand le Je est avec un Cela, il adopte la posture d’un œil qui regarde un objet, autrement dit l’attitude d’une conscience qui juge. En revanche, la relation Je-Tu est une rencontre entre deux personnes, où l’une se donne à l’autre, comme dans un dialogue où l’un invite l’autre à l’écouter et à lui répondre. Dire « Je te crois » à quelqu’un, c’est en ce sens se tenir humainement présente à ses côtés, dans une relation amicale d’intersubjectivité.

 

La place de la justice

Est-il urgent de réformer la procédure judiciaire dans le sens d’une plus grande place faite à l’écoute de la parole ? Faudra-t-il, selon l’appel de Laurence Devillairs dans le contexte des affaires de pédocriminalité dans l’Église, « inventer une justice du témoignage » ? Ou peut-on se satisfaire des procès médiatiques qui occupent le terrain laissé vacant par des tribunaux bloqués par les délais de prescription ? L’enjeu est considérable et, comble du paradoxe, il concerne également les accusés. Car la honte est en train de changer de camp et, dans toutes ces affaires, ce sont aujourd’hui les accusés qui n’osent plus parler, ou dont la parole n’est plus entendue parce qu’elle est devenue inaudible. Et s’il y aura toujours un avocat pour les défendre dans le prétoire, il n’est pas certain qu’ils trouvent quelqu’un à leurs côtés pour les soutenir et leur dire « Je te crois ».

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