Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© Adi Goldstein/unsplash

Point de vue

Laurence Devillairs : pour une philosophie de la plainte

Laurence Devillairs publié le 15 décembre 2020 3 min

La philosophie doit-elle aider à nous consoler face aux difficultés de la vie, ou plutôt nous bousculer dans nos existences ? Pour la philosophe Laurence Devillairs, auteur de Guérir la vie par la philosophie (PUF, 2017), philosopher est d’abord l’art d’affronter le monde avec lucidité. Grâce à Pascal, notamment, elle explique comment elle s’est réconciliée avec la part d’inconsolable qui vit en elle, comme en chacun de nous. ​​​​​​

 

« En 1943 paraît L’Être et le Néant, de Jean-Paul Sartre. Le monde est à feu et à sang, les totalitarismes se partagent les territoires et asservissent les populations. Certains résistent, d’autres collaborent. Et Jean-Paul Sartre publie son “essai d’ontologie phénoménologique”. Il ne s’agit pas de déterminer si ce fut là un fait de résistance, si Sartre fut indigne ou aveugle. Il est simplement question de savoir ce que peut apporter la philosophie en période de catastrophe. Est-ce la consolation ou la vérité ? La compréhension ou l’indignation ? Aujourd’hui, philosopher en temps de pandémie mondiale a-t-il quelque chose de ridiculement inutile, ou, au contraire, d’essentiel ?

Cela peut conduire à classer les philosophes en optimistes et en pessimistes. Même si cette classification a le tort d’être psychologisante, elle a néanmoins une certaine légitimité : la philosophie ne s’est-elle pas attribuée, depuis ses origines ou presque, le rôle de consolatrice ? Que fait Boèce, dans son cachot, à quelques heures de la chute de l’empire romain ? Il soigne, par le remède de la philosophie, la plus douloureuse des amertumes, celle qui fait comprendre que jamais l’idéal ne sera de ce monde. C’est la philosophie en effet qui apprend à ne rien attendre, à ne vivre ni d’espoir ni de crainte, mais à s’en tenir strictement à ce qu’il est en notre pouvoir de changer, et donc de maîtriser. Et que dit Machiavel dans les toutes dernières lignes qu’il a écrites, alors que la peste dévaste Florence ? Il affirme rester encore et toujours amoureux… de la philosophie, même quand elle a tout perdu de sa superbe : « Ne vous imaginez pas pour cela que je la laissai toute seule : je la suivis, au contraire, jusque chez elle, où elle renferma mon pauvre cœur avec elle. » (Description de la peste de Florence)

Trop beau pour être vrai : cette attitude sereine et inébranlable n’est pas à notre portée, et n’est sans doute pas saine. Parce qu’elle escamote la plainte, parce qu’elle ne nous dit pas combien la philosophie elle-même, et tous nos remèdes et divertissements, tous nos dérivatifs et tentatives d’évasion, ne sont finalement que cela : le moyen d’oublier que nous sommes inconsolables. Il faut une philosophie non de la consolation, mais de l’inconsolabilité. Car n’est-il pas exact, comme l’écrit Pascal dans ses Pensées, que « tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions » ? Et cette plainte est fondée car « la nature ne m’offre rien qui ne soit matière de doute et d’inquiétude […], voyant trop pour nier et trop peu pour m’assurer, je suis en un état à plaindre. »

Cette philosophie, non de la consolation mais de la plainte, est celle d’un penseur qui affirme par ailleurs, ainsi qu’on se plaît souvent à le rappeler, que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ». On oublie que Pascal a soin de préciser que le repos nous est insupportable et que la cessation de nos activités ne peut que nous plonger dans la tristesse. Pourquoi ? Parce qu’alors, inévitablement, nous comprenons que « rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. » Nietzsche ne s’y est pas trompé, qui a vu en l’auteur des Pensées un prophète non pas de malheur mais de courage, un modèle d’honnêteté philosophique, qui lui fait dire qu’« il ne s’est rien passé depuis Pascal. » (Fragments posthumes)

Une philosophie honnête ne vend ni du rêve, ni du bien-être. Elle doit dire les vérités qui dérangent, c’est là son rôle, c’est là son utilité. En ce sens, elle n’est ni pessimiste ni optimiste, lucide sans aucun doute, à rebrousse-poil, pas vraiment conciliatrice, détectant sans concession les arrangements faciles et les consolations hâtives. Ce qui n’empêche pas de rire aussi, car comme le disait un lointain héritier de Pascal : « L’homme est un animal inconsolable et gai » (Jean Anouilh, Pièces grinçantes). On peut rire et philosopher au bord du gouffre. En cette fin 2020, on peut même fêter Noël et envisager une nouvelle année. »

Expresso : les parcours interactifs
Aimer sa moitié avec le Banquet
On dit parfois que la personne aimée est « notre moitié », celui ou celle qui nous complète. L'expression pourrait trouver son origine dans le mythe des androgynes, raconté dans le Banquet de Platon ! Découvrez ce récit fascinant.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
8 min
Laurence Devillairs : "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier"
Laurence Devillairs

« Se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher », écrit Pascal. Fustigeant les philosophes et leur amour du vrai, il leur répond que l’homme abhorre la vérité. Parce que rien ne parvient à lui faire oublier la…


Article
3 min
Laurence Devillairs : “Il faut inventer une justice du témoignage”
Laurence Devillairs 28 octobre 2021

Indignée par les révélations du rapport Sauvé sur les crimes et délits sexuels sur mineurs dans l’Église catholique, la philosophe chrétienne…

Laurence Devillairs : “Il faut inventer une justice du témoignage”

Article
5 min
“Petite Philosophie de la mer”, une odyssée existentielle
Jean-Marie Durand 27 mai 2022

S’inspirant des légendes et des réalités de la vie aquatique, Laurence Devillairs propose un traité de sagesse pratique dans sa Petite Philosophie…

“Petite Philosophie de la mer”, une odyssée existentielle

Article
11 min
Laurence Devillairs : “La Rochefoucauld nous débarrasse de l’impératif moderne d’être soi”
Victorine de Oliveira 22 septembre 2020

Un inconnu célèbre : voici La Rochefoucauld, un oublié de l’histoire de la philosophie du XVIIe siècle, et pourtant sérieux rival de…

Laurence Devillairs : “La Rochefoucauld nous débarrasse de l’impératif moderne d’être soi”

Article
6 min
Laurence Devillairs : « Dans “Westworld”, tout pouvoir est un abus de pouvoir »
Yseult Rontard 25 juin 2020

La série « Westworld », dont la troisième saison vient d’être diffusée aux États-Unis sur la chaîne HBO, met en scène des robots…

Laurence Devillairs : « Dans “Westworld”, tout pouvoir est un abus de pouvoir »

Le fil
15 min
Blaise Pascal, philosophe ou religieux ? Laurence Devillairs face à Pierre Manent
Frédéric Manzini 15 février 2023

Quatre cents ans après sa naissance en 1623, Blaise Pascal n’en finit pas de fasciner. Et de diviser. Pour Pierre Manent, qui a récemment fait paraître…

Blaise Pascal, philosophe ou religieux ? Laurence Devillairs face à Pierre Manent

Article
11 min
Antoine Compagnon : le moi est-il vraiment haïssable ?
Sven Ortoli 25 mars 2021

La formule de Pascal « Le moi est haïssable » est aussi désespérante que définitive,. Mais qu’est-ce que Pascal méprise dans ce moi …

Antoine Compagnon : le moi est-il vraiment haïssable ?

Article
2 min
Blaise Pascal. L’homme face à l’infini
27 juin 2019

Pascal ? 781 fragments qui hantent la littérature française et notre langage courant :  Le cœur a ses raisons que la raison ne connait…

Montaigne et Pascal. Le moi et le doute, ou la foi

À Lire aussi
Pascal Chabot-Laurence Devillers. Robots pour être vrais ?
Pascal Chabot-Laurence Devillers. Robots pour être vrais ?
Par Martin Legros
mars 2018
Boris Cyrulnik, Laurence Hansen-Løve. Comment éviter le ressentiment
Boris Cyrulnik, Laurence Hansen-Løve. Comment éviter le ressentiment
Par Martin Legros
septembre 2016
Laurence Henry : “Comme le langage humain, le chant des oiseaux est un marqueur d’identité sociale”
Laurence Henry : “Comme le langage humain, le chant des oiseaux est un marqueur d’identité sociale”
Par Pierre Terraz
avril 2021
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Laurence Devillairs : pour une philosophie de la plainte
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse