À la recherche d’une boussole

« Hier soir, peu après 23 heures, j’ai entendu une série d’explosions, comme des pétards géants sous ma fenêtre. Pendant quelques instants, je suis resté incrédule. Un quart de seconde, j’ai même pensé à une attaque terroriste. Pur fantasme. Molly a vaguement bougé une oreille, et de mon balcon, j’ai pu constater qu’un feu d’artifice était tiré au-dessus de la Fondation Cartier, dans le XIV^e arrondissement parisien, vers la place Denfert-Rochereau.

Je ne pense pas être seul ces jours-ci à (re)devenir méfiant, anxieux, atterré, déboussolé. Tout se mélange. L’anniversaire de la mort de Samuel Paty, le meurtre de Dominique Bernard à Arras, celui des Suédois fans de foot à Bruxelles, les morts près de l’hôpital Al-Ahli Arabi à Gaza, et en Israël les familles égorgées et les otages enlevés. Le terrorisme est dans toutes les têtes. Et je ne pense pas être seul à chercher une boussole.

Nietzsche dit de l’homme moderne qu’il “incarne une contradiction des valeurs, assis entre deux chaises et dit d’un seul souffle oui et non”. Mais on ne peut pas passer sa vie le cul entre deux chaises. Ni même comme Bartleby, le héros de Melville, répéter “je préférerais ne pas”. Il faut choisir, sinon son camp, du moins son éthique. Donc, il faut s’orienter – et c’est à cela que sert une boussole. Que serait une boussole idéale ?

Ce serait une boussole pour distinguer le bien et le mal. L’onde de choc provoquée par le massacre perpétré en Israël par les terroristes du Hamas révèle une fracture de la société française : il suffit de traverser une manifestation pro-palestinienne pour percevoir comment le crime de masse de l’un est affirmé comme acte de résistance par l’autre, et à quel point la “faille empathique” évoquée par Delphine Horvilleur est béante.

Ce serait une boussole pour indiquer le juste et l’injuste. Aucun doute, Israël a le droit, et le devoir, d’aller chercher ses citoyen(ne)s otages jusque dans les souterrains de Gaza. Mais aucun doute non plus, les civils gazaouis ont le droit de vivre et ne pas mourir entassés dans un camp à ciel ouvert ou ensevelis sous des bombes. Qui prime ?

Ce serait une boussole pour trier le vrai et le faux, le probable et l’improbable, le pire et le moins pire. Qui croire, dans l’amas d’informations contradictoires qui déferle ? Le Hamas, qui assure que l’explosion d’un missile israélien sur l’hôpital Al-Ahli Arabi a provoqué près de 500 morts civils, ou les agences de renseignement américaines, qui évoquent une roquette défaillante lancée depuis Gaza et chutant sur le parking de l’hôpital, y faisant moins de 50 victimes ?

Dans cette comptabilité macabre, chacun choisit son camp parce que, dit Nietzsche, “nous avons dans les veines, à notre insu et malgré nous, des velléités, des valeurs, un vocabulaire, des formes et des formules, des normes et des morales d’origines diverses et adverses”. Pour s’en sortir, le philosophe allemand propose “un coup de bistouri résolu” afin que chacun mette à nu, à son propre niveau, les valeurs en conflit. Ce n’est pas une boussole, mais c’est déjà un plan. »

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