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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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 Isadora Duncan par Arnold Genthe (cc) Wikimedia Commons

Et Nietzsche créa la danse contemporaine

Marie-Gabrielle Houriez publié le 27 novembre 2019 13 min

En décrétant la mort de Dieu et en appelant à l’émergence du surhomme, Friedrich Nietzsche a forgé des concepts qui accompagnent la naissance de la danse contemporaine. Et continuent de nourrir les créations actuelles, comme en témoigne le chorégraphe Angelin Preljocaj que nous avons rencontré à l’occasion de la reprise de son ballet Le Parc (1994), à l’Opéra-Garnier, à Paris, du 6 au 31 décembre.

Lire l’entretien avec Angelin Preljocaj ☛

Un café, des chaises et des tables pêle-mêle. Au fond à gauche, une porte à tambour éclairée. Deux danseuses vêtues de robes blanches fluides se déplacent les yeux fermés, somnambules. L’une s’avance, butant contre ces chaises et ces tables, l’autre glisse, s’effondre contre un mur. La première se fraye un chemin grâce à l’aide d’un homme en costume qui déplace le mobilier gênant, elle se heurte à un homme en chemise, ils s’enlacent comme s’ils ne pouvaient plus se séparer. L’homme en costume dépose délicatement la femme dans les bras de l’homme en chemise. Faible, elle lui tombe des bras. L’homme en costume la redépose plusieurs fois dans les bras de l’homme en chemise, d’abord avec délicatesse, puis de plus en plus violemment. Lassé, l’homme en chemise l’enjambe, l’abandonnant. Soudain, une femme rousse, en manteau, surgit de la porte à tambour, elle trottine avec nervosité entre les chaises. Tout semble l’agacer, elle disparaît… La solitude, la dépression et l’espoir d’un réconfort sont renforcés par deux arias de femmes tirées de The Fairy Queen et de Didon et Énée de Henry Purcell, qui évoquent la rupture amoureuse, la douleur et le désespoir. C’est le début de Café Müller, pièce pour cinq danseurs de Pina Bausch (1940-2009), créée en mai 1978.

Cette pièce emblématique de la danse contemporaine ne représente pas de « beaux mouvements ». Ici, ni beau, ni vrai, ni bien, juste du pur mouvement, parfois laid, parfois fluide, parfois agressif, parfois dur, parfois beau, rarement volontairement. En danse contemporaine, le mouvement « idéal » n’existe pas.

 

Le classique est mort

Nietzsche a sonné le glas des Idées platoniciennes du Beau, du Vrai, du Bien, détrôné le concept de vérité de son piédestal et « tir[é] sur la morale ». Aussi introduit-il la « mort de Dieu » dans Le Gai Savoir publié en 1882. C’est le résultat d’un long processus historique : Dieu disparaît comme creuset ultime de nos valeurs ; dorénavant, elles ne peuvent être considérées comme des valeurs transcendantes et éternelles. Cette mort de Dieu laisse un vide – le monde n’a plus de sens – dont s’empare le nihilisme, qui se diffuse à la fin du XIXe siècle : « Que signifie le nihilisme ? Que les plus hautes valeurs perdent leurs valeurs » (La Volonté de puissance).

Ce n’est pas un hasard si la danse contemporaine émerge au même moment. Elle veut se débarrasser d’un système chorégraphique académique. Fini le mouvement magnifique et corseté prôné par le classique, une nouvelle danse est désormais en quête du mouvement « authentique », nécessaire et intérieur. 

Celle qui porte cette révolution, c’est Isadora Duncan (1877-1927). Elle se pose en « ennemie du ballet », cette danse « insipide ». L’Américaine rejette les costumes étriqués, les pointes et demi-pointes, et les artifices scéniques. Le classique désexualise et réduit le corps à une sévère essence. Ce corps « propre sur lui » exprime au final la mainmise de l’esprit sur le corps. Point de spontanéité mais une irréversible autorité du geste.

« J’ai rejeté les costumes pour danser, parce que sans eux, je peux sentir le rythme du mouvement dans mon
corps »

Isadora Duncan

Duncan développe des mouvements libres et naturels, inspirés par ceux des arbres, des vagues, des nuages, et danse pieds nus, habillée légèrement. Lors d’une représentation sur le Tannhaüser de Richard Wagner à Bayreuth, elle apparaît dans une tunique transparente, suscitant un profond malaise : « J’ai rejeté les costumes pour danser, parce que sans eux, je peux sentir le rythme du mouvement dans mon corps, et je fais une remarque : c’est que, aux époques où la Danse était considérée comme un art, les pieds étaient laissés libres », écrit-elle dans Ma vie (1928). Elle se laisse envoûter par la nature, telle une bacchante possédée par Dionysos. Il ne s’agit plus d’assigner le corps dans un espace donné, comme le fait le ballet, en lui faisant exécuter une « figuration » définie et arrêtée, mais de le laisser surgir à et dans l’espace, et dans la durée. « Dans les mille et mille figures que j’ai étudiées sur ces vases [grecs], j’ai trouvé toujours une ligne onduleuse comme point de départ ; jamais les mouvements n’ont l’air “arrêtés”, mais toujours, même au repos, ils ont des qualités fécondes, et chaque mouvement garde la force de donner vie à un autre » (Ma vie).

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