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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Emmanuel Kant, portrait peint vers 1790. © Wikimedia Commons

Kant, absolument !

Octave Larmagnac-Matheron publié le 15 février 2024 4 min

« “Je veux montrer qu’Emmanuel Kant, né ici il y a près de 300 ans, a un lien presque direct avec le chaos mondial auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Il a en outre un lien direct avec le conflit militaire en Ukraine.” C’est en ces termes incongrus que s’exprimait récemment le gouverneur russe de Kaliningrad (ex-Koenigsberg, la ville du philosophe allemand) Anton Alikhanov devant le “Ve Congrès des politologues”. Comment interpréter ces propos ?

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Par quel raisonnement détraqué Alikhanov peut-il bien en venir à la conclusion que l’auteur de l’opuscule Vers la paix perpétuelle serait responsable de la guerre en Ukraine ? Pour avoir co-élaboré notre hors-série sur Kant, actuellement en kiosque, je propose de prêter sérieusement l’oreille à un élément du discours. La philosophie de Kant, dit-il, conduit à “l’impiété et l’absence de valeurs supérieures”. On retrouve des idées semblables chez l’idéologue d’extrême droite Alexandre Douguine. Dans sa vision d’un grand conflit mondial de civilisations, ce dernier compte Kant parmi les fondateurs du libéralisme occidental qui “pousse l’homme à l’insurrection contre Dieu, contre les valeurs traditionnelles, contre les fondements moraux et spirituels de son peuple et de sa culture”. Le libéralisme, qui ébranle toutes les autorités, conduirait, dans sa perspective, au sacre de l’individu, à l’hédonisme le plus effréné : soit, au nihilisme.

Pour qui a lu un peu Kant, le procès en nihilisme paraît on ne peut plus aberrant. Il est pourtant ancien, presque contemporain de l’œuvre du philosophe de Koenigsberg. Le terme est quasiment inventé par Jacob Herman Obereit (1725-1798) dans sa pièce de 1787 Der wiederkommende Lebensgeist der verzweifelten Metaphysik [“Le retour de l’esprit vital de la métaphysique déçue”] pour vilipender “l’esprit d’anéantissement” auquel conduirait le criticisme. Friedrich Heinrich Jacobi (1743-1819) reprendra le mot dans sa correspondance avec Fichte pour dénoncer les conséquences délétères de la philosophie de Kant : l’impossibilité de croire en rien, la dissolution de tout absolu. Ce soupçon de nihilisme est, en somme, ancien. Il tient en grande partie aux conclusions de la Critique de la faculté de juger (1790) : l’impossibilité de prouver l’existence de Dieu, la disqualification des prétentions de la métaphysique à connaître le monde supra-sensible.

Pourtant, Kant ne coupe en aucun cas les ponts avec l’absolu. Il n’emprisonne pas l’être humain dans le monde clos des phénomènes naturels conditionnés les uns aux autres selon des rapports stricts de causalité. Au cœur de la raison s’affirme, au contraire, un inconditionné proprement sur-naturel : celui de la “loi morale”, “fait de la raison”, qui ouvre l’humain à ce qui “doit être” par-delà ce qui est. Cette loi morale est le seul point d’ancrage de toute métaphysique. Du devoir se déduit, comme sa “raison d’être”, la liberté : la possibilité pour l’être humain d’être non pas déterminé par ses désirs et ses penchants selon le mécanisme de la nature, mais de se déterminer à l’aune d’une exigence supérieure – sans avoir besoin d’aucune garantie extérieure. La raison, origine sans fondement, est par elle-même morale ; la moralité n’a pas besoin de Dieu, et de tous ceux qui prétendent parler en son nom.

L’erreur de diagnostic est patente. Si, en un sens assez plat, on peut dire que Kant est libéral, c’est seulement dans la mesure où toute sa philosophie gravite autour de l’affirmation de la liberté. Mais cette liberté n’a rien à voir avec la licence hédonique de la bête brute dépeinte par Douguine. Que le monde occidental ait pris, à certains égards, cette figure, cela peut s’entendre. Faut-il toutefois en imputer la responsabilité à Kant ? L’idéologue répondrait, je crois, “oui” à cette question. Il soulignerait, à mon avis, la précarité d’un impératif qui, jaillissant seulement du for intérieur sans s’adosser à aucune autorité, semble toujours suspect d’arbitraire. L’être humain peut-il vraiment, en toute “autonomie”, croire à la norme qu’il édicte comme à un absolu ? N’a-t-il pas besoin, pour y croire, que cette norme lui vienne d’ailleurs – de Dieu, de la société, de la tradition ? Kant a répondu par avance à cette attaque, en soulignant au contraire l’indépassable fragilité de toutes les injonctions “hétéronomes”, dont le fondement ne peut jamais être prouvé. S’il est une certitude, en matière de valeur, elle surgit seulement de la raison.

La méfiance à l’égard de Kant vient sans doute d’ailleurs : moins de la dissolution des valeurs que du travail de sape radical de toutes les autorités auquel la personne humaine peut toujours opposer la contestation de la raison. Carl Schmitt (1888-1985), un des grands inspirateurs de Douguine, y verra la source d’une moralisation dangereuse du monde. La raison, universelle, est sans frontières et sans concession. Mais c’est précisément cette prétention à l’absolu qui conduit, pour le juriste allemand, à l’atrocité redoublée de tous les conflits. La barbarie commence avec le fanatisme de celui ou celle qui prétend agir au nom de la morale. C’est oublier un peu vite que Kant mettait précisément en garde contre le fanatisme des “soldats volontaires” de la morale ! Personne ne possède la bonté. La morale est, pour l’être humain, un effort constant de discipline intérieure. “L’état moral, qui lui convient et où il peut toujours demeurer, c’est la vertu, c’est-à-dire la moralité dans la lutte, et non la sainteté.”

L’Occident a peut-être un peu vite oublié cette exigence tournée d’abord vers soi, pour se livrer aux imprécations les plus zélées. La soumission à des appareils normatifs que prône Douguine ne conduit pas, cependant, à davantage d’éthique. Elle endort, en l’être humain, la capacité à se juger lui-même. Mais peut-être est-ce cela, précisément, qui est recherché : l’oblitération de ce trouble de la raison où s’enracine la capacité humaine à se prendre en main ? C’est moins la dissolution des valeurs qui inquiète le pouvoir que la démesure de l’exigence morale. »

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