Islam et Occident : un “choc des civilisations” toujours d’actualité ?

Samuel Huntington publie Le Choc des civilisations en 1996, cinq ans avant les attentats du 11 Septembre. C’est dans la quatrième partie, intitulée « Les Conflits entre civilisations », que se concentre la question des tensions entre blocs civilisationnels. Nous ne reviendrons pas ici sur l’usage du terme « civilisation », amplement critiqué par le passé, notamment pour sa dimension imprécise et essentialiste. Mais dans la mesure où Huntington estime que la religion est le principal trait qui définit une civilisation, intéressons-nous à son questionnement sur le poids que la religion est amenée à prendre dans les relations internationales depuis la chute du Mur. Voici ce qui s’en dégage.

Une polarisation croissante du débat public

La première chose qui frappe, c’est à quel point le débat public s’est effectivement polarisé sur la question religieuse. « Dans les pays musulmans, écrit-il, les pays sont tous devenus plus islamiques dans leurs orientations, leurs symboles, leurs politiques et leurs actions. En Europe, les partis modérés ont adopté la rhétorique des partis d’extrême-droite anti-immigrés et repris les mesures que ces derniers défendaient. »

De 1996 à 2020, rien n’a vraiment changé. Même si ce constat appelle des nuances, l’excellent score des islamistes aux élections qui ont suivi les Révolutions arabes, ainsi que les multiples condamnations par des pays arabo-musulmans des caricatures de Mahomet après la décapitation de Samuel Paty, en sont quelques illustrations ; tout comme, de l’autre côté, l’utilisation par Emmanuel Macron de l’expression « combat de civilisations » dans une interview, en 2017, ou encore le qualificatif d’« islamo-gauchisme » déployé par Jean-Michel Blanquer après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, et qui vise une compréhension coupable, de la part d’une partie de la gauche, pour les arguments des islamistes.

Pour Samuel Huntington, qui ne connaît pourtant pas encore l’existence de l’internet, les modes de communication modernes impliquent en outre un « rétrécissement de la planète » qui amplifie les conflits potentiels. Un différend opposant A à B aimantera nécessairement d’autres alliances ou inimitiés au sein de populations se reconnaissant dans A ou B : « Plus une guerre civilisationnelle perdure, plus nombreux seront les pays apparentés susceptibles de jouer un rôle de soutien, de contrainte et de médiation. » Le chercheur évoque un « syndrome du pays apparenté », dont on pourrait volontiers voir une manifestation dans l’appel au meurtre de millions de Français par l’ancien Premier ministre malaisien, Mahathir bin Mohamad après l’assassinat de Samuel Paty.