Kamala Harris, une démocrate disciple de John Dewey ?
Prenant la parole après la victoire de Joe Biden, la future vice-présidente américaine a expliqué que la démocratie est un processus en perpétuelle réinvention. Une vision proche des théories du philosophe pragmatiste John Dewey.
« Kamala Harris a fait l’histoire », pouvait-on lire sur le site Internet américain Vox le 7 novembre. Le discours de victoire de la future vice-présidente des États-Unis a impressionné un grand nombre de commentateurs outre-Atlantique. Rien à voir avec les mots de Joe Biden, plus platement optimistes et mâtinés de références religieuses. Citant l’ancien élu à la Chambre des représentants John Lewis, décédé au mois de juillet dernier Harris a fait le choix, pragmatique, de prendre à bras-le-corps les tensions inhérentes au système politique américain : « La démocratie n’est pas un état de fait ; c’est un acte. » Un aveu de faiblesse, mais aussi « l’expression de l’espoir […] en une guérison et une réconciliation nationales. […] Ce que [Lewis] voulait dire, c’est que la démocratie américaine n’est pas garantie. Elle est aussi forte que notre volonté de nous battre pour elle. […] Protéger notre démocratie implique des luttes et des sacrifices. Mais il y a de la joie dans ce combat. »
La démocratie serait donc en perpétuelle réinvention ? Une affaire d’actions individuelles plus que d’institutions politiques ? C’est ce que soulignait très clairement Lewis dans la suite de son propos : « C’est un acte, et chaque génération doit faire sa part afin d’aider à créer ce que nous appelons une communauté aimante, une nation et une société mondiale en paix avec elle-même. » Cette déclaration ressemble à s’y méprendre à une citation du philosophe John Dewey, qui, dans « De la nécessité d’une éducation industrielle dans une démocratie industrielle » (1916), affirmait que « la démocratie doit naître de nouveau à chaque génération, et l’éducation est sa sage-femme ».
Premier constat de Dewey : nous faisons fausse route si nous essayons de définir la démocratie en termes d’institutions. Des formes de démocraties, il en existe en effet beaucoup ; et il est, du reste, dans la nature même des institutions démocratiques de se transformer, d’évoluer, de s’adapter – au contraire des autres régimes, qui se définissent par une certaine permanence de leurs structures politiques. Comme le précise Dewey, « la démocratie est plus qu’une forme de gouvernement ; elle est d’abord une manière de vivre » qui implique « la nécessaire participation de tout être humain adulte à la formation des valeurs qui règlent la vie des hommes en commun ».
Pour Dewey, la démocratie est donc d’abord un « esprit » et non une simple « technologie politique » d’organisation de la communauté humaine. La tâche essentielle d’un vrai démocrate, c’est de permettre « l’incorporation des idées démocratiques dans toutes les relations humaines ». Le philosophe déplace ainsi le centre de gravité de la démocratie du pouvoir politique aux pratiques concrètes, quelle qu’en soit la forme, par lesquelles les individus prennent part à la vie commune et se constituent comme « public ». Son approche est « pragmatique », au sens où elle s’intéresse moins à la théorie politique qu’au pragmatikós, à l’« action » : ce qui caractérise le mieux la démocratie, c’est la participation collective au politique, laquelle permet la politisation de nouveaux problèmes auparavant occultés ou minorés (par exemple, aux États-Unis, les violences policières à l’égard des Noirs ou les agressions sexuelles et sexistes dénoncées par #MeToo). En ce sens, la démocratie est avant tout un « processus de démocratisation » qui ne tient debout que pour autant qu’il « demande de tous un geste ».
La conséquence immédiate de cette redéfinition de la démocratie, c’est sa métamorphose permanente. Il est crucial de préserver cet inachèvement intrinsèque de la démocratie. Pour survivre, la démocratie doit faire place aux actes qui l’inventent et la réinventent sans arrêt. Et Dewey de baptiser l’une de ses conférences de 1939 de ce titre on ne peut plus évocateur : « Une démocratie créative : la tâche qui nous attend ». Sans cette recréation incessante qui implique chaque individu, la démocratie se vide de sa substance. Gare donc à la dépolitisation des citoyens comme à l’accaparement du politique par quelques individus en mal de pouvoir.
« La démocratie n’est pas un état de fait ; c’est un acte. » Lors de son discours de victoire prononcé ce week-end, la future vice-présidente…
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