Hartmut Rosa : “L’éducation doit développer la capacité des jeunes à se connecter au monde”

Pour beaucoup, l’école est devenue un espace d’aliénation. Le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa, qui fait paraître Pédagogie de la résonance (Le Pommier, 2022), affirme qu’il est urgent de le transformer en un espace de résonance, libéré des logiques de compétition et de performance. Nous l’avons rencontré à la fondation Robert-de-Sorbon, qui a soutenu la traduction de l’ouvrage.

Quels problèmes rencontre l’école aujourd’hui ?

Hartmut Rosa : Partout dans le monde, l’école est devenue une affaire d’évaluation, d’acquisition de compétences, de classement des élèves. La compétition et la comparaison sont la règle. Je pense que cela nous a fait oublier ce qui est le véritable enjeu de l’éducation – ce que nous appelons Bildung dans la tradition allemande. Nous pourrions apprendre beaucoup de Herder, Humboldt ou même Hegel à ce sujet. Les jeunes doivent trouver leur place dans le monde, mais je pense que le sens de la Bildung est encore plus profond : l’éducation est censée développer la capacité à se connecter au monde, à résonner avec lui, dans mon propre vocabulaire. Les enfants, les étudiants sont en contact, tout au long de leur scolarité, avec des livres ou connaissances qui sont d’abord comme morts pour eux. Ces choses ne leur parlent pas. La Bildung doit les aider à connecter à ces domaines à leur manière propre. Il ne s’agit pas simplement de transmettre des connaissances ; il s’agit d’ouvrir des axes de résonance, afin que quelque chose puisse commencer à vibrer, comme une corde, entre les élèves et les champs qu’ils étudient, et plus globalement avec le monde. Grâce à cette vibration, les enfants développent un sentiment d’« auto-efficacité » – une notion notamment développée par Albert Bandura, qui ne signifie pas la maîtrise ou la performance, mais la confiance qu’a un individu dans sa capacité propre à accomplir une tâche.

“La résonance est une condition qui permet la transmission des savoirs. Les compétences sont secondaires ; elles suivent lorsque l’axe de la résonance commence à s’ouvrir” Hartmut Rosa

Pouvez-vous revenir sur ce que vous appelez la “résonance” ?

Ce que j’appelle résonance n’est pas un contenu que l’on pourrait transmettre, enseigner avec une méthode bien définie, et que les élèves pourraient maîtriser afin de la mobiliser, de l’utiliser à tel ou tel moment de leur vie. Bien davantage, la résonance est une condition qui permet la transmission des savoirs. Les compétences sont secondaires ; elles suivent lorsque l’axe de la résonance commence à s’ouvrir. La résonance n’est pas un état émotionnel ou psychologique, c’est une question de relation, de qualité de relation. Cela signifie que quelque chose commence à vous parler. Vous répondez à cet appel. Un axe émerge et vous transforme très profondément. Lorsque vous plongez dans la musique ou la politique, que vous vous connectez à ces domaines, vous ne restez pas le même. Il existe en fait quatre dimensions de résonance. Il y a bien sûr la résonance matérielle avec les choses concrètes, les êtres – animaux, plantes, etc. – que l’on étudie en classe. Mais à l’école, ce sont aussi les gens qui résonnent entre eux – professeurs et élèves, mais aussi élèves entre eux. C’est la résonance sociale. Il existe ensuite un axe de résonance avec son propre corps, ses désirs, ses capacités, etc., avec soi. Enfin, il y a la résonance verticale : le sentiment que votre existence la plus intime, votre « âme », est reliée à une totalité englobante – qu’il s’agisse de la nature ou de Dieu, peu importe.