Hartmut Rosa : "Nous souffrons des moments de décélération forcée"

Avez-vous le temps de ne rien faire ?

Hartmut Rosa : C’est une question épineuse ! Globalement, je ne suis pas très doué pour ne rien faire. Mon agenda est presque toujours rempli. Les plannings sont devenus nos patrons, nos gourous – sans eux nous sommes souvent perdus, nous ne savons pas quoi faire de nous-mêmes face à une case vide. Mais il y a des jours où je ne prévois rien, des jours « libres » en quelque sorte. J’aime avoir des moments où je ne dois pas travailler, où il n’y a rien sur ma to-do list. Cela ne veut pas dire que je ne fais rien ces jours-là. J’en profite souvent pour sortir, marcher, flâner dans les rues sans but précis. Ou bien je prends un livre, j’écoute de la musique, je regarde éventuellement un film.

La technologie devrait nous faire gagner du temps, mais nous nous sentons de plus en plus pressés ! Pourquoi ?

Si l’on pense en particulier à l’accélération technologique, de l’automobile au sèche--cheveux en passant par l’email, les dispositifs technologiques permettent tous de gagner du temps. Bien sûr, nous avons besoin de temps pour les produire, mais pas tant que cela. Le bilan global devrait être une économie de temps. Et pourtant, en parallèle, nous avons de plus en plus l’impression de manquer de temps. Nous nous sentons toujours pressés, comme s’il nous manquait quelque chose. Pourquoi ? Parce que la to-do list s’allonge plus rapidement que l’accélération technologique ! Les courriels sont assurément plus rapides que les lettres. Mais aujourd’hui, il faut en écrire dix ou vingt fois plus que de lettres par le passé. Il en va de même pour la plupart des appareils technologiques. La voiture est plus rapide jusqu’à ce que vous traversiez une grande ville et que vous vous retrouviez dans un embouteillage. En fait, nous n’utilisons pas la vitesse de la voiture pour réduire le temps de transport : ce sont les distances qui ont augmenté entre le lieu de travail et le domicile, tout comme celles que nous parcourons pour les vacances. Nous ne faisons pas autant en moins de temps, mais toujours plus dans un même laps de temps. Si, au lieu de l’avoir dans un coin de la tête, nous écrivions notre to-do list, nous observerions probablement que les tâches que nous voulions accomplir en vingt-quatre heures en prennent en réalité plutôt -quarante-huit. Et la liste s’allonge. Nous vivons dans une société où le mode de stabilisation est dynamique : nous avons besoin de croissance économique pour stabiliser notre système. Sans croissance économique, nous perdons des emplois, des entreprises ferment, nous ne pouvons pas payer les systèmes de santé, etc. La croissance signifie produire plus, distribuer plus et consommer plus dans un certain laps de temps, donc toujours plus d’activités.

"Au lieu d’en faire autant en moins de temps grâce à l’accélération technologique, nous en faisons davantage sur une même durée. Et la to-do list s’allonge..." Hartmut Rosa

Nous rêvons de ne rien faire, mais souvent l’inactivité nous angoisse...