Le classique subjectif

Frantz Fanon commenté par Norman Ajari

Norman Ajari, propos recueillis par Victorine de Oliveira publié le 2 min

L’extrait de Frantz Fanon

« Dussé-je encourir le ressentiment de mes frères de couleur, je dirai que le Noir n’est pas un homme. Il y a une zone de non-être, une région extraordinairement stérile et aride, une rampe essentiellement dépouillée, d’où un authentique surgissement peut prendre naissance. Dans la majorité des cas, le Noir n’a pas le bénéfice de réaliser cette descente aux véritables Enfers. » 
Peau noire, masques blancs (1952).

Le commentaire de Norman Ajari

« C’est rarement souligné, mais Fanon parle ici plus spécifiquement de la masculinité noire, et non de l’être humain en général, comme cela a pu souvent être interprété. Il pointe le fait que l’un des supports fondamentaux du racisme est la peur de l’homme noir, forcément effrayant, répugnant, abominable, potentiellement tueur. Il existe aussi évidemment de nombreuses formes de misogynie liée à la fétichisation de la femme noire. Mais la cible principale de la violence négrophobe reste l’homme noir, et plus spécifiquement son pénis, objet de fantasmes et de cauchemars. Lors des lynchages d’esclaves aux États-Unis ou de la période coloniale en Afrique, on coupait systématiquement le pénis des Noirs pour les punir. Cette obsession travaille l’imaginaire colonial et esclavagiste européen. C’est de cela que parle Fanon quand il s’adresse à ses “frères de couleur” et qu’il leur dit qu’ils ne sont pas des hommes. Dans un monde régi par les fantasmes des Blancs qui ont valeur objective, les Noirs ne participent pas de l’imaginaire de la masculinité ordinaire. Qu’est-ce qu’être un homme en Europe ? C’est être un provider comme on dit en anglais, c’est-à-dire un chef de famille qui s’occupe de ses enfants, protège son foyer et se conduit en gentleman. Mais rien de tout cela ne s’applique à l’homme noir. Historiquement, dans notre imaginaire collectif, le Noir est celui qui abandonne ses enfants, se montre paresseux et violent. À chaque caractéristique positive de la masculinité, blanche par défaut, correspond une contrepartie monstrueuse dès que l’on pense à l’homme noir. Il suscite un racisme d’ordre sexuel, ce qui est très spécifique à la négrophobie. Quand Fanon compare les figures du Juif et de l’homme noir, il remarque que l’antisémitisme, lié à l’argent, est davantage un racisme de l’abstraction, du fantasme de la toute-puissance économique, quand la négrophobie est un racisme très concret et charnel. »

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