“Où commence le racisme ?” Découvrez un extrait du dialogue entre Norman Ajari et Marylin Maeso

Où commence le racisme ? Notre nouveau livre sort en librairie ce vendredi 12 mai ! Il s’agit d’un dialogue entre deux jeunes philosophes, Marylin Maeso et Norman Ajari, modéré par Martin Legros, sur la question raciale et les enjeux philosophiques qu’elle pose. En voici un premier extrait.

Marylin Maeso : L’espérance de vie est un critère important, je vous l’accorde. Vous semblez en faire le critère fondamental en ce qu’il permet d’objectiver les effets concrets de la discrimination. Si les Noirs vivent moins longtemps, c’est qu’ils subissent des discriminations en tous genres, de l’école à l’emploi en passant par l’hôpital ou la protection sociale, qui pèsent sur leur existence. Mais à mes yeux, ce n’est pas le seul critère objectif et pertinent. Parce qu’à ce compte‐là, le fait que les femmes vivent plus longtemps que les hommes pourrait être avancé comme « preuve » de l’inexistence de la discrimination entre les hommes et les femmes ou comme « preuve » de la discrimination des hommes par les femmes – ce qui est absurde.

Norman Ajari : Le problème de la surmortalité demeure. Et le critère de la durée de vie s’applique à des groupes démographiques complets comprenant les hommes, les femmes et les enfants...

M. M. : Oui, mais à l’intérieur même de ces groupes, le différentiel entre les hommes et les femmes existe... Revenons à la question qui nous occupe. On ne peut laisser croire que les Juifs ne subissent aucune discrimination au quotidien parce qu’ils ont une espérance de vie comparable aux autres catégories de la population. En France, il y a en permanence des attaques antisémites, et un véritable problème dans la manière dont on réceptionne le conflit israélo‐palestinien. Une partie importante de la population juive a même migré hors des banlieues en raison de l’antisémitisme qu’elle y subit au quotidien, notamment de la part des populations noires et d’origine immigrée qui sont ghettoïsées dans ces quartiers.

N. A. : Les Juifs déclarent en effet être victimes de propos antisémites dans les banlieues. Mais l’exode massif des populations juives hors de ces quartiers est‐il l’effet de cet antisémitisme ? Ou procède‐t‐il du fait de devoir vivre avec des populations immigrées et de ne plus le vouloir ? Si des Juifs quittent les banlieues, ils ne vont pas dire ouvertement qu’ils le font parce qu’ils n’aiment pas les Noirs et les Arabes... Nous vivons dans un climat politique où ces populations sont décrites comme des sauvages avec qui l’on ne peut cohabiter et qu’il vaut mieux fuir. Pour l’historien Georges Bensoussan, les Arabes tètent l’antisémitisme avec le lait de leur mère. L’influence de cette idéologie peut aussi expliquer ces enquêtes d’opinion. Or, si l’on regarde les choses objectivement, les Juifs ne font pas partie des personnes surexposées aux discriminations. Aux États‐Unis, ils ont même tendance à vivre plus vieux. Car ils font pleinement partie des populations blanches...

M. M. : Là, je suis en total désaccord avec vous. Il faut écouter les Français juifs. Beaucoup ont témoigné pour dire qu’ils ne supportent plus les croix gammées sur leur porte, les remarques lancées à leurs enfants à l’école, etc. Faire fi de ces témoignages oraux, les discréditer même, au nom du critère objectif que serait l’espérance de vie me semble très problématique. Pour toutes les autres discriminations, on accepte de les prendre en compte. Les chiffres des violences sexuelles, par exemple, reposent essentiellement sur du déclaratif. Car le nombre de plaintes est infime par rapport à la réalité du phénomène. Vous prétendez qu’on n’aurait aucun moyen de savoir si quand les Juifs quittent massivement tel ou tel quartier, ce serait en raison de l’antisémitisme ou pour d’autres raisons inconscientes. Mais si, on le sait ! On le sait par les mêmes moyens dont on dispose pour déterminer l’islamophobie ou la négrophobie dans telle ou telle catégorie de la population : par des enquêtes auprès de ceux qui sont victimes de ces discriminations et en témoignent. Et dont on ne met pas en doute le témoignage.

N. A. : Personnellement, je les examine toujours avec prudence. Et je considère que le critère de la durée de vie est un critère plus objectif que les déclarations que font les individus sur leur situation.
 

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