Fable cruelle à l’Assemblée

Les débats sur la réforme des retraites battent leur plein à l’Assemblée nationale. Pendant que l’opposition de gauche et les soutiens au gouvernement s'écharpent, qui endosse avec délectation le rôle de juge de paix ? Cette passe d'armes politique a inspiré à Michel Eltchaninoff une fable à la manière de Jean de La Fontaine. 

« L’Assemblée nationale s’échauffe autour du projet de loi sur la réforme des retraites. Et le débat n’avance guère. Même Laurent Berger, patron de la CFDT, s’en agace. Pour mieux comprendre ce qui s’y déroule, j’ai regardé la vidéo de la séance du 7 février dernier, au cours de laquelle le député de La France insoumise Adrien Quatennens, condamné par la justice pour violences conjugales, fait son retour dans l’Hémicycle et tente de prendre la parole. Dans le brouhaha et les huées, certains parlementaires s’indignent qu’on le laisse parler, tandis que d’autres prennent sa défense. Mais ce n’est pas le plus remarquable. Installé au perchoir, le vice-président de l’Assemblée, le député Rassemblement national Sébastien Chenu, dirige les débats. Il a l’air ravi de lancer des “chers collègues” ou de regretter une “scène tumultueuse”. L’image, insolite et peut-être prémonitoire, d’un élu du RN jouant le juge de paix m’a inspiré cette petite fable, à la manière de La Fontaine (en moins bien).

Les loups, les chiens et le renard

Le plus madré renard n’est pas celui qu’on croit.
Surtout quand il excelle à respecter le droit.

Regardez cet éphèbe au poil rouge et rasé.
Le bec fin, les yeux flous, tout en se faufilant,
Il revient à la place d’où on l’avait chassé
Et prétend de nouveau y montrer son talent.

Les loups qui le soutiennent l’applaudissent à tout rompre
Mais les chiens, à leur droite, fidèles à Jupiter,
Se mettent à le huer, le siffler, l’interrompre
Transformant son retour en suffocant enfer.

L’un des mâtins, furieux, crie que c’est une honte
De laisser ce brutal, aux gestes moins que tendres,
Critiquer le monarque, soutenir les gérontes,
Lui contestant le droit de se laisser entendre.

Les loups, tout convaincus d’incarner les croquants,
Hurlent, eux, de leur mieux, pour museler les chiens.
Ces derniers, enhardis, devenus arrogants,
Clabaudent à leur tour, au nom des citoyens.

De ce chaos sans nom qui sortira vainqueur ?
Les sujets du Royaume soucieux de dignité
Recherchent un arbitre, un pacificateur.
Or il est là, ce sage, sur son perchoir juché.

Maître Chenu, RN, toujours l’air goguenard,
Assagit et tempère cette meute en furie,
Distribue la parole, concentre les regards,
Fait appel à la règle, exclut qui injurie.

Tout comme ses collègues cravatés et bonaces,
Obéissant sans faille à Marine Le Pen,
Il va, rusé goupil, remplir sa besace
De suffrages à venir – et sans aucune peine. »

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