Du métavers à la métamobilité : un nouvel “anéantissement du temps” ?
Le « métavers » a à peine eu le temps de devenir un mot à la mode que le voilà déjà supplanté par un autre : « métamobilité ». Le concept a été présenté il y a quelques jours par Chang-Hyeon Song, le président du groupe Hyundai : « L’idée derrière la métamobilité est de faire en sorte que l’espace, le temps et la distance deviennent inutiles. » La métamobilité va plus loin que le métavers : elle envisage non seulement l’émergence d’un double virtuel de notre monde, mais surtout l’utilisation de la robotique pour faire le pont entre les deux. Par exemple, vous pourriez caresser virtuellement votre chat dans votre maison virtuelle, et cette caresse numérique se transformerait en caresse réelle par le biais d’un robot, lui aussi bien réel. Vision cauchemardesque ? Sans doute, selon l’urbaniste et essayiste Paul Virilio (1932-2018).
- Les mots du PDG coréen rappellent ceux de Paul Virilio dans Vitesse et Politique (1977) au sujet de l’hégémonie de la vitesse qui caractérise, à ses yeux, la modernité : « Après avoir longtemps signifié la suppression des distances, la négation de l’espace, la vitesse équivaut soudain à l’anéantissement du Temps : c’est l’état d’urgence. » Que veut dire, au juste, le géographe philosophe ? Que l’accélération du monde ne peut être définie seulement comme la réduction de nos temps de trajets. De manière beaucoup plus fondamentale, cette accélération est sous-tendue par un désir à peine dissimulé : l’abolition même du trajet, et donc du temps, dans la mesure où le temps est essentiellement la mesure d’un parcours de l’espace avec ses obstacles, ses jalons, ses résistances. « La vitesse redevient soudain une grandeur primitive en deçà de toute mesure, de temps comme de lieu », résume encore Virilio dans L’Espace critique (1984).
- De ce point de vue, Paul Virilio pressent déjà, avant l’avènement de la révolution numérique, que cette accélération sera synonyme de « dématérialisation », où les images prennent la place des choses. Il le dit déjà de la télévision : « Dans l’interface de l’écran, tout est déjà là, donné à voir dans l’immédiateté d’une transmission instantanée. […] Comme les événements retransmis en direct, les lieux deviennent interchangeables à volonté. » Et, évoquant une intuition du réalisateur Abel Gance, il remarque : « Le cinéma, dans moins d’un quart de siècle, prendra peut-être un autre nom et deviendra l’art magique des alchimistes […] : envoûtant, capable d’apporter aux spectateurs, dans chaque fraction de seconde, cette sensation inconnue de l’ubiquité dans une quatrième dimension, supprimant l’espace et le temps. »
- Le « métavers » promu par les grandes entreprises actuelles est, en quelque sorte, ce cinéma d’un nouveau genre. Les mots de Virilio paraissent s’appliquer à ce nouvel espace qui n’en est pas un avec une étonnante pertinence : « L’instantanéité de l’ubiquité aboutit à l’atopie d’une unique interface. » Le métavers rend possible cette duplication du monde qui rend possible le fantasme de l’ubiquité. Fantasme qui est, fondamentalement, un fantasme d’immobilité absolue, puisque le corps n’a plus à se mettre en mouvement pour aller où il veut : il y est toujours déjà. Virilio parle, à ce propos, de « la concentration d’une domiciliation sans domicile où les limites de propriété, les clôtures et les cloisonnements ne sont plus tant le fait de l’obstacle physique permanent que d’une interruption d’émission ». Et de conclure que « la distance vitesse abolit la notion de dimension physique ».
- Huyndai franchit toutefois un pas, avec l’idée de métamobilité ; il n’est plus seulement question d’une ubiquité virtuelle, dans lequel l’homme est avant tout spectateur passif. Il s’agit, désormais, de rendre possible, par l’entremise de la robotique, un geste de transformation du monde. Mais ce geste est tout aussi dématérialisé que le déplacement : il n’implique aucun corps propre, habité d’une subjectivité humaine incarnée, et ne manifeste donc aucune véritable temporalité, car le temps s’éprouve dans la confrontation avec les résistances de la matière animée. Bien entendu, l’action du robot a une certaine durée. Mais cette durée n’est, du point de vue de l’homme, qu’une pure abstraction – comme l’est cette mobilité par laquelle nous nous inscrivons dans le monde, que Hyundai entend, précisément, dépasser (méta-, « au-delà »).
- C’est pourtant bien cette mobilité, au sens large, qui caractérise la vie : le fait d’être sans cesse hors de soi, tourné vers le monde. En apparence, la métamobilité exacerbe cette projection de l’individu au-dehors de lui-même. Mais en réalité, ce monde qui s’offre à lui est tout entier absorbé dans les limites de sa conscience. Car ce monde n’oppose aucune résistance, aucun obstacle contre lequel la conscience bute et revient à elle-même.
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