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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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(cc) Wikimedia Commons / craigfinlay

Parle avec eux

Vinciane Despret, Sophie Lacroix, Fabrice Hadjadj, Maurice Godelier, propos recueillis par Michel Eltchaninoff publié le 23 octobre 2014 15 min

Nous sommes très nombreux à dialoguer avec nos morts. Que révèle cette attitude ? Et comment les considérons-nous alors : souvenirs, fantasmes, virtualités, fantômes ? Enquête auprès de philosophes et d’anthropologues descendus aux enfers.

 

C’est l’histoire, authentique, d’un couple qui a posé sur la cheminée familiale une urne contenant les cendres d’un proche, disons de la mère de Monsieur. Après quelques jours d’absence, le mari et la femme trouvent, à la place de l’urne, un petit mot de la dame de ménage : « J’ai cassé le pot qui était sur la cheminée et j’ai bien aspiré les poussières. » Consternation. Désarroi. Panique. Comment réagissent-ils ? Ils enterrent l’aspirateur dans le jardin. La philosophe Vinciane Despret, qui enseigne à l’université de Liège, en Belgique, nous raconte en riant cette anecdote qui en dit long – qui dit en tout cas que le rapport à nos proches défunts ne s’est pas rationalisé en proportion du recul des traditions religieuses. Au contraire, poursuit-elle, elle montre « la très grande inventivité des vivants au sujet des morts ». En effet, « la différence entre les “autres” (qui continueraient de vivre selon diverses croyances dans des cosmologies bariolées et surpeuplées) et “nous” (qui aurions bénéficié des lumières de la lucidité critique et dont les morts se trouveraient, au terme de processus intrapsychiques clairement définis, sagement rangés dans les intériorités) mérite d’être sérieusement revisitée », écrit-elle (« Penser par les effets. Des morts équivoques », in Études sur la mort, 2/2012, n° 142 – Vinciane Despret a également coordonné en mars 2014 le numéro 62 de la revue d’ethnologie Terrain sur « les morts utiles », auxquelles elle a consacré un article).

Mais sur quoi se fonde la philosophe pour l’affirmer ? Sur une pratique largement ignorée mais massive dans nos sociétés : la plupart d’entre nous parlons à « nos » morts. Le sociologue Martin Julier-Costes, chercheur à l’université de Bourgogne, après avoir notamment enquêté auprès de personnes âgées de 15 à 30 ans qui ont perdu des proches, en France et en Suisse, montre que le « monde des morts » est très présent parmi les vivants, qu’ils soient croyants ou non. Certains rêvent du proche, ressentent la présence de signes émanant de lui. Il est courant, désormais, de déposer des photos dans un cercueil. D’autres placent sur les oreilles du cadavre des écouteurs et branchent son iPod avec ses morceaux préférés. Dernier cas raconté par Martin Julier-Costes : on voit des personnes glisser dans sa poche un téléphone allumé pour pouvoir lui laisser des messages une fois qu’il sera ailleurs, histoire de réécouter la voix de son message d’accueil ou de lui parler encore…

 

Du purgatoire au mémorial virtuel

Avant, tout semblait nettement plus simple. Les traditions religieuses assignaient des rituels précis et des lieux pour les morts. Comme l’explique l’anthropologue Maurice Godelier, qui a récemment dirigé un ouvrage foisonnant et passionnant sur La Mort et ses au-delà (CNRS Éditions, 2014), « il existe des invariants universels dans l’attitude des hommes, quelles que soient les époques et les sociétés considérées, vis-à-vis de la mort. Le postulat de base est que quelque chose subsiste de la personne après sa mort, que ce soit sous forme matérielle ou spirituelle. La mort s’oppose non pas à la vie, mais à la naissance. Elle disjoint ce qui avait été joint à la naissance. On prescrit donc des périodes et des attitudes de deuil. En Chine, tout était réglé par l’État. Il y avait trois ans de deuil pour les proches, deux ans pour les moins proches, etc. On assignait des vêtements particuliers. C’était exactement le même phénomène dans nos contrées autrefois. Les veuves s’habillaient en noir après la mort de leurs maris. Elles ne pouvaient pas aller au bal. Elles devaient manifester leur affliction. Et en même temps, à travers ces gestes, elles se réinséraient peu à peu dans la vie normale. Ces attitudes d’affliction ou de reconnaissance vis-à-vis du mort, manifestées dans des pratiques réelles à travers des coutumes, sont fondamentales. On ne se sépare pas des morts facilement. » Une telle codification des croyances et des attitudes correspondait à une image très précise du parcours et de la destination finale du défunt. Comme personne n’a jamais vu la forme spirituelle d’une personne après sa mort, à part Thérèse d’Avila descendue aux enfers, rappelle Maurice Godelier en souriant, les religions proposent toutes des « constructions de l’imaginaire. Dans les monothéismes, poursuit-il, on formalise des étapes afin que le mort rejoigne son séjour définitif. Jusqu’à ce que le christianisme occidental n’invente, vers la fin du XIIe siècle, le purgatoire, chaque personne était jugée par Dieu et envoyée soit au paradis, soit en enfer pour l’éternité. En revanche, dans le brahmanisme et le boud­dhisme, on se réincarne immédiatement après sa mort. La personne est renvoyée dans la vie selon ses mérites. Pour échapper au cycle des renaissances, il faut accumuler les mérites. Alors, dans le brahmanisme, vous allez vous asseoir en tant qu’ancêtre près des dieux. Dans le bouddhisme, vous disparaissez dans le nirvana, vous vous dissipez dans l’Être ». Les élaborations imaginaires sont extrêmement riches. Ainsi Maurice Godelier cite-t-il une « tribu de Nouvelle-Guinée, les Fore, où l’on croit qu’il y a trois esprits à l’intérieur d’un être humain. À la mort, ces trois esprits doivent être réunis pour former un ancêtre. Une pratique tout à fait exceptionnelle consiste en ce que les femmes mangent les cadavres par respect et par amour, pour que chacun devienne un ancêtre… »

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Article issu du magazine n°84 octobre 2014 Lire en ligne
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