Denis Baranger : “Le peuple ne peut être souverain sans conditions”

Marine Le Pen dit vouloir rompre avec la tradition plébiscitaire du référendum, qui consisterait à faire de la question posée une demande de plébiscite du pouvoir en place. Qu’en pensez-vous ?

Denis Baranger : Un référendum, c’est un vote sur un texte. Mais répondre à un référendum, cela n’a jamais seulement consisté à répondre à une question. C’est aussi une façon de juger celui qui la pose. Quand le général de Gaulle, en 1969, conditionne sa démission au rejet par référendum de son projet de loi sur la création des régions et la rénovation du Sénat, c’est une façon pour le peuple français de voter pour ou contre le président de la République. Quand le président Pompidou organise un référendum sur l’élargissement des Communautés européennes, c’est aussi un référendum sur sa personne. Je ne vois pas pourquoi Madame Le Pen échapperait à l’effet plébiscitaire du référendum. Il se passerait exactement la même chose.

“La tentation du Rassemblement national et de ses légistes, c’est d’utiliser l’article 11 pour changer la Constitution” Denis Baranger

La candidate du Rassemblement national voudrait user bien plus souvent du référendum pour gouverner. En particulier pour instaurer la priorité nationale dans le Constitution, notamment pour l’accès à l’emploi, l’attribution de logements ou l’octroi des droits sociaux. Est-ce viable selon vous ?

Il n’y a qu’un article pour changer la Constitution par référendum, c’est l’article 89. Mais pour ce faire, il faut un vote du texte dans les mêmes termes par les deux chambres du Parlement. Or, je pense que Marine Le Pen veut justement contourner le pouvoir législatif parce qu’elle imagine qu’elle n’aura probablement pas de majorité à l’Assemblée nationale, et certainement pas au Sénat. Elle évoque aussi beaucoup les référendums d’initiative populaire ou d’initiative citoyenne, mais tout cela n’existe pas vraiment pour l’instant. La tentation du Rassemblement national et de ses légistes, c’est d’utiliser l’article 11 pour changer la Constitution. Sauf que la finalité de ce texte est de substituer le suffrage universel direct au Parlement en tant que législateur ordinaire pour voter des lois ordinaires ou ratifier des traités. Pas pour changer la Constitution. Son grand argument est de dire que le général de Gaulle lui-même a utilisé l’article 11 pour réviser notre texte fondamental. En réalité, cela n’est arrivé qu’une fois avec succès, en 1962, pour mettre en place le suffrage universel direct pour l’élection du président de la République. La manœuvre a fonctionné parce que l’article 11 peut être utilisé pour des textes portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou le fonctionnement des institutions. Mais le Conseil d’État s’est opposé, dès 1962, au contournement de l’article 89.