Hamid Mokaddem : “Les Kanak sont minoritaires et minorés dans le corps électoral, même s’ils jouent le jeu de la démocratie”

La mobilisation pour le référendum du 4 octobre 2020 a été très forte avec 85,64 % de participation. Les indépendantistes ont gagné 3 points par rapport au scrutin de 2018. Que penser de ce résultat ? 

Hamid Mokaddem : Les 3 points gagnés pour le Oui à l’indépendance sont extrêmement importants. Le corps électoral en Nouvelle-Calédonie résulte en effet de l’histoire de la colonisation mise en place par la France depuis le XIX^e siècle. Celle-ci a reposé sur une minoration démographique du peuple kanak, réalisée par une colonisation de peuplement mais aussi par des politiques de spoliations foncières ; suite aux guerres coloniales et aux déplacements des populations, l’administration a parqué les Kanak dans des réserves, les privant de droits, et a confisqué leurs terres pour les distribuer aux colons, ancêtres des Calédoniens. Les Kanak sont aujourd’hui minoritaires démographiquement. Ils constituent pourtant le peuple qui revendique sa souveraineté parce qu’ils sont là depuis trois mille cinq cents ans mais sont minoritaires et minorés dans le corps électoral, même s’ils jouent le jeu de la démocratie. Le dispositif politique mis en place, l’accord de Nouméa de 1998, est habile au niveau démocratique, mais il est retors. Si on lit le Préambule, on ne trouve jamais le mot « Kanaky » – nom du pays donné en 1985 par le peuple kanak –, ni le mot « indépendance ». Pour reprendre le concept de Lacan réemployé par Frantz Fanon, il y a une forclusion de la souveraineté Kanaky au profit d’une soi-disant souveraineté partagée, et ce dès le départ, il y a trente ans.

“Les personnes qui ont peur de l’indépendance ne veulent pas d’un troisième référendum en 2022, car elles craignent la montée en puissance du nationalisme kanak”
Hamid Mokaddem

Mais il y aura un troisième référendum, inscrit dans le processus de l’accord de Nouméa, qui sont des accords constitutionnalisés. Les personnes qui ont peur de l’indépendance ne veulent pas de ce troisième référendum, car elles craignent la montée en puissance du nationalisme kanak. Elles sont réactionnaires, au sens physique, et réagissent contre le mouvement de fond réel qui est celui de l’indépendance. Ce contre-mouvement réactionnaire s’adosse à la souveraineté nationale de la France. Tous les modèles d’assistanats économiques sont mis en place pour ce mouvement qui avantage la majeure partie des populations non kanak. Il y a une cartographie très inégalitaire au niveau économique entre les populations kanak et européennes.