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Le livre du jour

“Cruor”, le testament cru de Jean-Luc Nancy

Frédéric Manzini publié le 14 décembre 2021 4 min

Si le terme de « livre-testament » est souvent galvaudé, il sied parfaitement au dernier ouvrage de Jean-Luc Nancy, le posthume Cruor (Galilée, 2021). D’abord parce que c’est peu après y avoir mis la touche finale qu’il est mort, le 23 août dernier, et ensuite parce que ce livre ne sera effectivement suivi d’aucun autre. Le philosophe y pense en parallèle ce qu’il appelle « l’entre-les-corps » et une certaine forme de cruauté ou de crudité propre à notre époque, qui met en péril la possibilité d’une communauté humaine. Un livre aussi beau que déroutant.

 

Jean-Luc Nancy (1940-2021) est l’auteur d’une œuvre foisonnante, qui touche aussi bien à la métaphysique qu’à l’esthétique ou à la sémiotique et à la politique – sans oublier l’enjeu du christianisme. Dans toutes ses dimensions, sa philosophie s’est attachée à repenser la condition humaine dans un Occident sécularisé en perte de sens, en croisant de multiples questions et notamment celles du corps et du commun. Or c’est au croisement de toutes ces thématiques que se situe son ouvrage posthume, Cruor. Un titre rauque pour une méditation qui ne l’est pas moins, autour d’un mot qui est qualifié de « terrible » dans les quelques lignes en exergue au début du livre et qui sont tirés d’une pièce peu connue de Guillaume Apollinaire intitulée Couleur du temps (1917) :

“Et cette époque veut pour surnom

Ce terrible mot latin cruor

Qui signifie le sang répandu”

Corps-à-corps

Cruor est d’abord l’aboutissement d’une longue réflexion personnelle que Jean-Luc Nancy place expressément dans le prolongement d’un précédent ouvrage, Corpus, paru pour la première fois en 1992. Or, analysait-il alors dans les dernières pages de l’ouvrage, rédigé il y a près de 30 ans aujourd’hui, le corps est toujours une étendue ou une extension, c’est-à-dire une ex-position, un être exposé qui s’offre en extériorité : le corps est « ouvert au-dehors ». « Est-ce que vous vous êtes déjà connus comme pur esprit ? demandait-il, avec la malice qui le caractérisait. Non. Cela veut dire que vous comme moi, nous n’accédons à nous-même que du dehors. Je suis pour moi-même un dehors ». Et c’est cette question du dehors et du dedans, de l’entre-les-corps, qui se repose à nouveaux frais dans Cruor.

Le sang, entre intériorité et extériorité

Que signifie le terme « cruor » lui-même ? Rarement utilisé dans le français courant, il désigne dans le vocabulaire anatomique le sang qui s’écoule et qui coagule, voire le caillot d’un sang répandu en dehors du corps, par opposition au « sanguis », le sang qui circule dans les veines en circuit fermé et grâce auquel la vie est possible, parce qu’il l’entretient. Le sang est au corps ce que le rythme est au tambour, affirme Nancy, c’est-à-dire sa pulsation. Mais le sang qui nourrit la vie peut aussi la quitter : le sanguis qui pulse peut devenir le cruor qui jaillit et se répand – par exemple dans le sacrifice sanglant – pour être bu par celui qui désire devenir l’autre et sentir son sang palpiter en lui. Jusqu’à accomplir l’impossible, à savoir que cruor redevienne sanguis comme une nouvelle vie qui commence… Dans un style volontiers elliptique, avec son écriture proche de celle de Derrida, qui fut son ami, Nancy énonce alors quelques fulgurances comme celle-ci : « Le sang est le tout premier matériau de la fiction : père, frère, sangs-mêlés – tandis que le lait fait couler une autre fiction, mère, sœur et enfants. Les deux se boivent, c’est-à-dire repassent par les voies de la parole qu’elles remontent jusqu’au silence. »

Cru, crudité, cruauté

Ouvrage sur le partage entre les corps, Cruor est donc également un livre sur la cruauté, sur l’humanité suppliciée et souffrante. C’est la méditation d’un sage sur notre monde et ses affres, et sur notre époque dont Jean-Luc Nancy considère qu’elle est « en train de supprimer toutes les médiations entre les humains ». L’histoire, déplore-t-il, a écarté ce qui était la sensibilité propre à ce qui aurait pu être une autre manière de vivre entre humains, dans une véritable communauté qu’il appelle « communisme » et dont il déplore qu’il soit aujourd’hui tristement réduit à « des schémas politiques alors qu’il s’agissait de bien plus… », c’est-à-dire d’un partage et d’une co-présence au monde. Alors, certes, « les statistiques montrent que la durée de vie a augmenté, que la violence a diminué au cours des siècles, mais ce qui ne se mesure pas, c’est la douleur partout et le désarroi ». D’où la mode du cru en art ou en cuisine, et d’une certaine crudité qui se répand dans les paroles et jusque dans les pensées. Ce qui « jusqu’ici semblait relégué dans une marge (repoussante) de la civilisation » compose désormais ce que Nancy voit comme un « tableau général de détresse ». Comme une vie à son crépuscule.

 

Cruor, de Jean-Luc Nancy, vient de paraître aux Éditions Galilée. 144 p. 18€, disponible ici.

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