“Coupables mais pas responsables” : la nouvelle maxime d’Emmanuel Macron

« Un irresponsable n’est plus citoyen. » La phrase a été lâchée hier, mardi 4 janvier, tandis que le président de la République Emmanuel Macron s’entretenait avec des lecteurs du journal Le Parisien. Cette affirmation très critiquée nous éclaire sur la nouvelle stratégie adoptée par le gouvernement vis-à-vis des non-vaccinés. Elle témoigne d’un changement de registre : fini la responsabilisation collective, place à la condamnation et à la culpabilisation individuelle.

Analysons ce revirement stratégique au prisme de la conférence sur « la responsabilité », donnée par Hannah Arendt en 1968 et que l’on peut retrouver dans l’ouvrage Responsabilité et Jugement, publié de manière posthume en 2003.

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Retour sur la nouvelle “stratégie” de communication présidentielle

Normalement, celui qui « prend ses responsabilités », c’est celui qui agit. Dans ce cas précis, c’est celui qui va se faire vacciner. D’un point de vue politique, quand un gouvernant en appelle à l’esprit de responsabilité, c’est pour (re)mettre en mouvement la société ou une partie de celle-ci. En taxant les non-vaccinés d’« irresponsables », Emmanuel Macron considère donc que cette capacité d’action collective n’existe pas, ou plus ; que c’est peine perdue. Il estime que les non-vaccinés n’agiront pas pour se faire vacciner, qu’ils ne prendront pas leur responsabilité. C’est en ce sens qu’ils ne seraient pas, ou plus, « citoyens ». Le constat catégorique – et très controversé – tombe ici comme un couperet.

Le président opte alors pour une autre stratégie : « l’emmerdement ». L’idée est de limiter les non-vaccinés dans leurs activités quotidiennes individuelles par le biais d’un « passe vaccinal », qui les privera notamment de « prendre un canon, boire un café, aller au théâtre ou au ciné ». Il s’agit bien ici – encore plus qu’avec le « passe sanitaire » – de leur mettre des bâtons dans les roues. Le but n’est plus d’inciter à l’action, mais de la limiter au maximum.

Cette stratégie de l’« emmerdement » est doublée d’un reproche. Les non-vaccinés ne sont plus enjoints à se faire vacciner, mais critiqués pour leur choix de ne pas le faire. Une décision qui, selon Emmanuel Macron, est en train de « saper ce qu’est la solidité d’une nation ». L’incitation laisse place à la critique directe, non camouflée.

Isoler les non-vaccinés

Le gouvernement passe ainsi d’une formulation positive à une formulation négative du problème. On reproche aux non-vaccinés de ne pas l’être et on leur interdit de pratiquer des activités de socialisation quotidienne. Par cette double accusation – la non-citoyenneté et la fragilisation de la nation –, Macron place subtilement les non-vaccinés hors du domaine citoyen, tout en les considérant comme une menace à l’échelle nationale.

Dès lors, le président individualise le problème de la vaccination. En culpabilisant et en déresponsabilisant les non-vaccinés, il s’adresse à eux en tant que Pierre, Paul ou Jacqueline, et plus en tant que citoyens, acteurs de la nation. Cette stratégie le fait ainsi passer du registre de la « responsabilisation » à celui de la « culpabilisation ». C’est ce qu’explique Hannah Arendt dans sa conférence sur la responsabilité : « La culpabilité, à la différence de la responsabilité, singularise toujours ; elle est toujours strictement personnelle. »

Est-ce que ça va marcher ?

Cette stratégie d’« emmerdement » et de culpabilisation individuelle va-t-elle pousser les non-vaccinés à l’action… dans le sens voulu par le gouvernement ? Rien n’est moins sûr. Car au lieu de s’adresser à la responsabilité citoyenne, c’est-à-dire précisément à ce qui serait capable de mettre en mouvement et de donner des raisons d’agir, Macron s’adresse à l’individualité des concernés.

Cette nouvelle communication présidentielle ne devrait sûrement pas arranger l’égoïsme qui est déjà reproché aux non-vaccinés. Elle risque au contraire d’accentuer leur rupture avec ce qu’Arendt appelle « le monde », qui désigne la vie politique et l’existence en commun. Et inversement, ce discours va sans doute favoriser le repli dans « le soi » : au creux de la sphère privée, loin des contraintes imposées par la vie collective. Et pour cause – celui qui est vu ni comme citoyen, ni comme responsable, peut alors se sentir définitivement quitte de toute obligation vis-à-vis de la société et du commun.