Nul ne peut plus l’ignorer : depuis le début de l’été, les Antilles sont touchées de plein fouet par la quatrième vague de l’épidémie de Covid-19. Pour contrer cette fièvre épidémique affectant les deux îles sœurs que sont la Guadeloupe et la Martinique, les autorités ont mis en place de multiples mesures : entres autres, un confinement strict jusqu’au 19 septembre, et surtout, l’envoi de plusieurs centaines de soignants hexagonaux, venus prêter main forte à leurs collègues antillais. C’est que, avec un taux de couverture vaccinale très inférieur à celui de l’Hexagone, les services de réanimation antillais ont très vite été débordés et tragiquement contraints de trier leurs patients. Ce taux de vaccination très faible (35% pour la Guadeloupe et 22% pour la Martinique) procède d’une défiance particulièrement forte envers le vaccin. Cette dernière prend de multiples visages ; le complotisme, le déni de réalité – certains se refusent par exemple à croire que le nombre de morts imputables au virus est bel et bien réel – ou encore les figures politiques et syndicats appelant à la grève générale pour manifester leur désaccord vis-à-vis de la politique sanitaire. Mais justement, comment expliquer que ce refus de la vaccination connaisse une telle ampleur ? D’où vient ce scepticisme majoritaire et ravageur ?

Pour essayer de le comprendre, nous avons recueilli des témoignages de première main : nous sommes allés à la rencontre de trois Guadeloupéens résidant sur place, en leur demandant de nous expliquer les raisons de ces réticences. Sans tomber dans le cliché ou le dogmatisme, tentons de comprendre les facteurs historiques, sanitaires, sociaux et symboliques à l’œuvre dans l’émergence d’un tel climat de défiance.

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Une première piste pouvant être dégagée est le souvenir encore prégnant du chlordécone. Rappelons qu’entre 1972 et 1993, l’État français a massivement utilisé le chlordécone aux Antilles : un pesticide dont la nature neurotoxique et cancérigène est connue depuis 1976, par ailleurs interdit aux États-Unis depuis 1977. Résultat : en Guadeloupe, la quasi-totalité (autour de 95% de la population) a été contaminée par ce perturbateur endocrinien notoire dont la demi-vie dans les sols est de plusieurs centaines d’années. Depuis plusieurs années, de multiples associations dénoncent ce scandale sanitaire, et une plainte a été déposée en 2006 pour « mise en danger de la vie d’autrui ». En réponse, l’État a tardivement créé un fonds d’indemnisation pour les personnes exposées au chlordécone. Une mesure encore insuffisante, selon les militants et associations défendant les victimes du produit.

Pour Sandra*, une étudiante en lettres réticente à la vaccination, le scandale du chlordécone a bel et bien marqué les esprits et les corps aux Antilles. « Ma génération est consciente de la gravité du scandale du chlordécone et n’hésite pas à se faire entendre. Il est clair que ma réticence procède en partie de cette affaire », pourtant, « ce n’est que la partie émergée de l’iceberg », poursuit-elle. La jeune femme se déclare méfiante en raison du peu d’égards pour la santé des ultramarins dont fait en général preuve l’État français depuis des années. « Nous devons faire face quotidiennement à des problématiques que nos homologues hexagonaux ne sauraient imaginer. C’est épuisant. Il est donc difficile pour moi d’accueillir à bras ouverts cette injonction au vaccin. » Pour elle, il s’agit moins d’une question de liberté que de confiance : « Ce n’est pas par amour inconditionnel de la liberté que je réagis ainsi. Je n’ai tout simplement plus confiance en l’État. » Elle en vient même à affirmer : « Si d’aventure, un vaccin était fabriqué par un laboratoire antillais – lequel connaîtrait donc notre histoire et les problématiques propres aux Antilles –, je serais plus susceptible de lui accorder ma confiance et par suite de recevoir le vaccin. »