Christopher Lasch, un penseur iconoclaste à (re)découvrir
Mort il y a trente ans, l’historien et sociologue américain Christopher Lasch a laissé derrière lui une œuvre à l’héritage contrasté. Redécouvert à la faveur du mouvement des Gilets jaunes, son populisme farouche semble parfois occulter un travail conceptuel plus large, mis au service d’une critique originale du capitalisme et de la culture qu’il engendre. Nous avons relu les principaux ouvrages de ce penseur inclassable pour y voir plus clair.
Le 14 février 1994 disparaissait Christopher Lasch. Foudroyé par une leucémie à l’âge de 61 ans, le sociologue et historien américain venait d’achever La Révolte des élites et la trahison de la démocratie, l’ouvrage qui est à ce jour resté comme son grand-œuvre (disponible en français ici, et préfacé par Jean-Claude Michéa). Régulièrement réinvoqué à l’occasion de certains mouvements sociaux, comme récemment celui des Gilets jaunes en France, cet essai accessible s’offre à ses lecteurs comme une sorte de condensé de la sensibilité politique de son auteur, empreinte du mouvement populiste américain de la fin du XIXe siècle, incarné par un parti du même nom. Dans son sillage, Christopher Lasch se pose comme un socialiste conservateur, volontiers critique de l’idéologie du progrès, opposant au déploiement de la technique et de l’individualisme les bienfaits d’une « vie ordinaire » appuyée par certaines formes de sociabilité traditionnelle. Fort de cet héritage, également marqué par la critique sociale développée par l’École de Francfort, Lasch n’aura eu de cesse de chercher à établir les caractéristiques du capitalisme de son temps, de l’idéologie libérale qui le sous-tend, mais aussi de la culture de masse et de la psyché narcissique que ce système engendre. Retour sur ses principaux essais.
La Culture du narcissisme (1979, trad. fr. 2000)
Publié en 1979, La Culture du narcissisme (disponible en français ici) est certainement l’ouvrage le plus abouti du penseur américain. Au moment où il le rédige, Lasch prend acte d’une mutation du capitalisme : celui-ci ne s’appuie désormais plus sur la rigidité morale de la bourgeoisie traditionnelle, mais laisse libre cours à une permissivité généralisée. Il s’éloigne de la droite pour se tourner vers la gauche, voyant dans la subversion libertaire que celle-ci promeut une aubaine, de nouvelles parts de marchés à conquérir, la promesse d’une consommation étendue qui sera perçue comme largement émancipatoire. Une nouvelle culture se développe sur ces bases dans les années 1960-1970 et, relève l’auteur en s’appuyant sur de nombreux travaux de psychanalystes, comme toute culture, produit de nouveaux dispositifs d’éducation et de socialisation qui engendrent eux-mêmes un nouveau type de personnalité. Cette personnalité, d’autoritaire qu’elle était, est à ses yeux devenue « psychologique » et « narcissique ». Elle se caractérise par « une certaine superficialité protectrice, la crainte d’engagements astreignants, l’empressement à faire oublier ses racines quand le besoin s’en fait sentir, le désir de garder toutes les options ouvertes, une aversion au fait de dépendre de quelqu’un, l’incapacité à se montrer loyal ou reconnaissant ». Vouant aux gémonies un passé vu comme nécessairement rétrograde, l’individu narcissique ne trouve plus d’assise stable à son Moi. Troquant le perfectionnement de soi pour l’auto-préservation, il vit au jour le jour et se perd dans un mouvement perpétuel de plaisir constamment renouvelé. Loin d’être un simple égoïste animé par l’amour de soi, l’individu narcissique, se confondant avec l’environnement publicitaire et marchand (spectaculaire, dirait-on en un sens debordien) qui l’entoure, est habité par « un sentiment d’inauthenticité et de vide intérieur ». Ne parvenant pas réellement à se saisir lui-même, il cherche un sens à sa vie. C’est un personnage certes débarrassé de la culpabilité, n’accordant plus guère de sens aux valeurs traditionnelles d’entraide et de solidarité, mais en proie à une anxiété généralisée que nourrit son besoin de trouver une confirmation de sa consistance ontologique dans le regard d’autrui et, à cet effet, de s’agiter en permanence. « Afin de polir et de parfaire le rôle qu’il s’est choisi, le nouveau Narcisse contemple son reflet, non pas tant pour s’admirer que pour y chercher sans relâche les failles, les signes de fatigue et de décrépitude ».
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